L’étudiante
Elle s’était inscrite pour 4 jours en immersion totale dans une famille française de Tokyo. Elle est tombée sur la mienne. Elle est donc arrivée sous une pluie battante et glacée à peine couverte d’une petite veste légère. Elle avait une mine de chat sauvage et de longs cheveux lissés de cette drôle de couleur de teinture typiquement japonaise : caramel ?
Pour la mettre à l’aise, je lui ai tout de suite annoncé que j’avais préparé un gâteau au chocolat en son honneur, elle a esquissé une grimace polie : le chocolat, pas trop pour elle, ni les choses sucrées en général. J’ai pensé zut. Nous avons dîné en tâchant d’échanger quelques mots, puis elle a demandé si elle pouvait prendre un bain. Mais bien sûr ! Elle y est restée un moment (c’est peu dire).
Au matin, elle s’est contentée de grignoter du pain en regardant avec étonnement les céréales et le yaourt que je lui proposais. De mon côté, je revoyais clairement ma propre surprise devant les oeufs de poissons offerts le matin en ryokan – chacune son tour. Le soir, j’ai tenté un bout de conversation. Connaissait-elle des chanteurs français ? (Non.) Des acteurs alors… comme Sophie Marceau ? (Non.) Euh… était-elle déjà allée en France ? (Non.) Ah. Finalement, elle a admis – puisqu’elle étudie la culture et la littérature françaises à l’université – avoir lu Camus. C’est pas rien L’étranger ! Nous avons terminé le repas, puis elle a demandé si elle pouvait prendre une douche. Elle y est restée un moment (c’est rien de le dire).
Le soir d’après, histoire de passer le temps, je lui avais réservé une surprise. Hé ! hé ! Les Fourberies de Scapin en français (sous-titrées en japonais), avec que des bons acteurs : Torreton, Podalydes… La crème de la crème. Bon, je sais, j’ai mis la barre un peu haut mais que voulez-vous, je n’ai trouvé que ça à l’Institut franco-japonais près de chez moi. Le lendemain, nous sommes allés dîner chez une copine qui elle-même hébergeait une étudiante japonaise. Là, nous avons chanté (en fait, braillé), dansé le rock (donc, gigoté), les enfants ont fait une démonstration de tecktonik, nous avons mangé du fromage de contrebande et bu du champagne… elle en est restée baba. Le savoir-vivre à la française, sans doute l’imaginait-elle plus distingué ?
Son dernier jour est finalement arrivé. En guise de merci, elle m’a remis en partant une petite carte adorable écrite dans le secret de sa chambre avec un croquis de tous les membres de la famille. Chacun était identifié par un objet et une phrase caractéristiques. Moi, je demande « ça va ? » la question de base que j’ai réussi à lui poser 35067890 fois environ en quatre jours seulement (un record) ; j’ai aussi mon ordinateur sous le bras – il fallait s’y attendre.
De mon côté, si je devais la dessiner, je l’enchaînerais à son téléphone portable rose et elle demanderait « est-ce que je peux utiliser la salle de bain ? » (quand je vous dis que les japonais sont propres). Allez Aina, tu reviens quand tu veux !