Epilogue
Une cousine me rappelait opportunément les bienfaits de la gratitude.
De retour du Japon où je suis retournée après quatre ans d’absence, je me plie volontiers à ce rituel qui rend hommage à ce qui a été donné. Alors donc… je dis merci au guide bénévole qui, après avoir passé deux heures à me raconter l’histoire du Risturin-koen aidé d’un petit dictionnaire personnel (un cahier mêlant dessins, anglais et français), m’a remis, à l’heure de la séparation, un sachet d’origamis réalisés de ses mains. Je dis merci à Monsieur Matsuno pour le bœuf de Kobé dont il m’a régalée, en grand seigneur, dans son merveilleux restaurant en bois noir de Ginza. Je dis merci au propriétaire de la pharmacie de la Kagurazaka qui m’a reconnue après toutes ces années et qui m’a répété l’unique phrase qu’il connait en français komentarevu ? Je dis merci au pays d’être resté fidèle à mes souvenirs et à la terre pour être restée ferme et stable sous mes pieds.
Pour tout cela, je dis haut et fort ahrizgateau… un mot qui, vous le savez bien, m’a toujours paru beau.
PS : Ci-dessous, l’enchanteur Ritsurin-koen à Takamatsu.
2011 suite et fin
Il y a des années comme ça.
On se dit qu’on n’aurait jamais voulu les vivre, parce que la peine a été trop dure et les émotions trop fortes. Pourtant, elles restent en soi et elles finissent par nous définir.
Je suis celle qui a vécu le 11 mars 2011 au Japon.
J’étais là, avec ma famille, et 127 millions de Japonais dont plus de 20 000 sont morts.
Aujourd’hui 31 décembre, à l’heure des bilans, j’ai envie de revenir avec vous sur cette célèbre image du photographe Tadashi Okubo. Loin des clichés sensationnalistes, voici la photo d’une jeune femme vivante, dont le regard doux et désorienté se perd au milieu des décombres. Elle se tient debout. Digne dans le désastre. Yuko Sugimoto, comme on l’a su plus tard, cherchait là son fils de 5 ans emmené à l’école le matin-même. Elle l’a cru mort pendant trois jours avant de le retrouver sain sauf. Il avait été évacué avec toute sa classe par son instituteur.
Cette belle histoire, j’espère que vous vous en souviendrez comme moi.
Je trouve qu’elle clôt en douceur cette année… et ce blog.
Césium
Qui eût cru qu’acheter un concombre serait l’acte de bravoure (ou d’inconscience) le plus exceptionnel de ma petite vie ? Tiens, vous qui avez subi le lavage de cerveau de nos amis les médias et qui avez soigneusement évité le curcubitacé espagnol injustement soupçonné d’être un tueur en série, vous connaissez la peur d’acheter et de manger. Eh bien ici, à Tokyo, cette crainte taraude devant chaque étale, chaque restaurant. Et en même temps… que faire ? Se nourrir exclusivement de conserves, de raisin du Chili, de boeuf américain et d’agneau de Nouvelle-Zélande ? Bonjour le bilan carbone ! Alors, on apprend à déchiffrer les kanjis des différentes régions du Japon et on décrypte péniblement les étiquettes. Je connais déjà celui d’Okkaido (parce que j’ai appris les directions à l’école de japonais – Okkaido, c’est « le chemin de la mer du nord ») faudrait voir à progresser…
Nadeshiko Japan, des joueuses en or !
On peut bien détester le football, qu’importe le sport finalement. Aujourd’hui, c’est une victoire particulière qui me touche au coeur. Dimanche soir, les Japonaises ont remporté la finale de la Coupe du monde de football contre l’équipe triplement championne des États-Unis, un succès qui dépasse largement la revanche du perdant de l’histoire passée contre le gagnant d’alors ou ce magnifique pied de nez fait aux hommes dont on dit parfois qu’ils sont plus grands et plus forts que l’autre moitié de l’humanité. Avant-hier, ces joueuses talentueuses et généreuses, vaillantes et endurantes, ont mis un terme au cercle des mauvaises nouvelles enclenché par le tsunami qui a ravagé le pays le 11 mars dernier. Elles ont prouvé qu’en se battant pied à pied contre les vents contraires, on peut déjouer les pronostics et foncer vers la victoire.
Les Japonais et médias nippons ne s’y sont pas trompés. Ils célèbrent désormais Nadeshiko Japan, cette belle équipe féminine qui a su offrir au pays bien plus qu’une victoire. L’espoir.
Saving
Impossible de manquer ces affiches qui nous somment de participer à l’effort national de maintien en activité des seules centrales nucléaires restantes. Pitié pas de surchauffe ! Pitié pas de blackout ! Il faut économiser. Je grappille donc un watt par-ci, un autre par-là. J’intime à mes enfants : pas de climatisation en journée, nous vivrons dans une étuve s’il le faut. Mais Dieu qu’il fait chaud ! Misère, quelle moiteur ! Je frotte mon cou et mon front avec le ruban rafraîchissant dont je vous parlais il y a peu, en maudissant le climat japonais. De leur coté, les entreprises ont pris des mesures drastiques. Pour niveler la consommation électrique, les week-ends ont changé : certains travailleurs seront de repos les jeudis et vendredis au lieu des traditionnels samedis et dimanches – ah ! ce n’est pas en France qu’on verrait ça, ou alors, il faudrait d’abord en passer par quelques semaines de grève dure. Quant aux congés d’été, fini le départ massif de tout le monde au mois d’août. Désormais, juillet accueillera aussi quelques vacanciers. C’est pas sympa ça ?
Pour le reste, rien de changé par rapport à mes derniers billets : moins d’éclairages publiques – ce n’est pas un mal – et beaucoup moins de trains en circulation dans la journée.
Et s’il vous restait 15 jours à Tokyo…
A l’incontournable visite du Meiji Jingu et à la foule compacte de Bic Camera, j’ai préféré le plaisir d’enfourcher mon vélo pour regarder, nez au vent, les passants dans leur balade, les ouvriers à la pause, et les écoliers en uniforme. Les petites maisons de mon quartier semblent bien calmes et mon coin de ville, alangui sous le soleil, est comme apaisé. Comment trouvez-vous la capitale ? me demandait mon professeur de piano. Ah Keiko ! si cela ne tenait qu’à moi, j’y vivrais bien quelques années encore !
COOL
Quand je rentre au Japon après une longue absence, je ne suis jamais déçue car je trouve toujours sur la table un petit paquet qui m’attend bien sagement. Hier donc, je découvre un accessoire des plus surprenants : un ruban qui se gonfle dans l’eau et qui se noue ensuite autour du cou. Étonnant mélange entre le brassard de natation et le foulard de scout, il promet de rafraîchir agréablement celui qui le porte. Et ça marche ! Par temps d’économie d’énergie généralisée (donc sans climatisation) et lorsqu’il fait 33° pour 90 % d’humidité… quel bonheur que de porter ce collier frais et humide. Petit défaut quand même… il vient des États-Unis. Amis japonais, qu’attendez-vous pour le copier ?
Tokyo, 3 mois après
Surprise ! Mon voisin japonais continue d’entretenir son merveilleux jardin miniature, sous un soleil qui se lève toujours aussi tôt et au son d’oiseaux dont le chant n’a pas varié. Les magasins proposent les mêmes produits et les pas dans les rues résonnent exactement comme avant.
En apparence, rien n’a changé.
Mais dans le métro, les escalators fonctionnent désormais au ralenti, la climatisation se fait moins agressive et les éclairages moins généreux. Les filles qui traînent à Harajuku n’ont pas remisé leur légendaire extravagance contre un semblant d’austérité, mais les curieux sont moins nombreux à les photographier. Les étrangers se sont raréfiés. On est plus tranquilles pensent certains. Et le tourisme ? rétorquent d’autres.
Il s’est passé quelque chose.
Et en effet, à la faveur de la nuit, l’alcool aidant, les langues se délient. On évoque le danger des radiations, on se renseigne sur les informations que la presse étrangère pourrait donner. On s’inquiète.
Où va-t-on ?
Hommes d’influence
(Un ami me disait hier que ce blog n’était pas très gai, mais comment pourrait-il en être autrement ? Petite lueur cependant, voici le discret portrait de deux hommes debout.)
Chaque année, le TIME fait paraître sa liste des 100 personnalités les plus influentes au monde. Parmi elles en 2011, deux Japonais remarquables pour leur forme de résistance, leur courage et leur dignité.
Katsunobu Sakurai, le maire de Minami-soma, aujourd’hui connu pour son poignant SOS de 11 minutes diffusé sur internet et (heureusement) sous-titré en anglais. Il y raconte, sans détour mais sans colère, le dénuement total dans lequel se retrouve sa population, la difficulté à localiser ceux qui sont partis et la peur qui étreint la cité devant la menace nucléaire invisible qui pèse sur elle. Il invite les médias à venir témoigner sur place (à 30 km de la centrale de Fukushima) et implore pour la venue de volontaires. Alimentation, eau, essence, soutien. Tout manque. L’autre héros salué par le magazine est Takeshi Kanno, un jeune médecin du Shizugawa hospital, célèbre pour être resté auprès de ses patients jusqu’à leur évacuation complète, après le passage du tsunami. Ces personnalités, révélées exceptionnelles dans l’adversité, puissent-elles nous influencer en nous faisant réfléchir à ce que nous sommes et à qui nous voulons ressembler.
L’appel à l’aide du maire de Minami-soma est là, écoutez-le, relayez-le :
http://www.youtube.com/watch?v=a78lgT6qavY
Temps obscurs
Les échos qui me parviennent de Tokyo m’effraient. Le métro a choisi de limiter ses éclairages et les grands panneaux publicitaires ne sont plus baignés de lumière. Les vitrines éteintes, la ville semble en deuil. Par moment cependant elle se réveille, s’ébroue et esquisse un mouvement. En réalité, c’est la terre qui a tremblé, provoquant une panique sombre et sourde.
Et malgré cela, je ne me sens pas prête au départ.
Je voudrais pouvoir sortir ma bâche et m’installer sous les fleurs. Et puis j’irais prendre le bateau pour regarder les cerisiers ployer au-dessus de l’eau. Mon voisin me proposerait un barbecue auquel on mangerait à n’en plus pouvoir. Bien sûr, on stabiliserait l’appareil pour prendre une photo. On lèverait alors bien haut l’index et le majeur. On formerait ainsi le V de la victoire. Victoire contre la centrale qui s’emballe, et le noir qui s’installe.