Archive for avril, 2010
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Je me souviens d’un reportage qui, de façon exceptionnelle, s’immisçait dans l’intimité d’une famille japonaise. La caméra suivait la cadence du père, qui sombrait parfois de fatigue sur la moquette de son bureau et passait pour un excentrique du seul fait qu’il offrait un cadeau à sa femme pour son anniversaire. On interrogeait la mère qui disait être fière d’être maîtresse chez elle, sous-entendant que gagner l’argent du ménage n’était pas tout. On voyait les enfants à l’école, en randonnée ou penchés sagement sur une page à calligraphier.
En vivant ici, je me rends compte de l’extraordinaire de ce petit film. Car au Japon, on ne reçoit pas chez soi. On s’invite au restaurant, on part ensemble en voyage, mais on accueille peu. Discrétion ? Modestie ? Gêne anticipée qu’on s’oblige à ne pas montrer ? Tout cela crée un voile de mystère sur la vraie vie des Japonais.
Il y a quelques semaines, j’ai, pour la première fois, eu le plaisir de déjeuner dans une famille totalement japonaise. Ce repas m’a beaucoup touchée et même enthousiasmée.
J’ai vu l’autel des ancêtres où l’on vient se recueillir.
J’ai vu la maîtresse de maison s’affairer avec son grand tablier autour de la taille.
J’ai vu mon hôte sortir un arbre généalogique remontant à des dizaines de générations.
J’ai vu les fraises côtoyer les sushis, les salades de fougères, les aubergines farcies au tofu et la quiche aux pommes de la voisine.
J’ai vu les litres de bière, de saké et de champagne déversés sans fin dans ma toute petite tasse (j’ai donc constaté l’égalité hommes femmes devant la boisson).
J’ai vu qu’on vivait ici, en toute simplicité, sans façons et avec beaucoup de générosité.
Alors j’ai pensé : à quand la prochaine ?
La langue japonaise est un carcan sur mesure qui situe exactement votre position dans la société et ne vous autorise jamais à penser pour les autres. Si vous parlez à un supérieur (disons… votre professeur), à votre égal (voyons, votre collègue) ou votre inférieur (un enfant ou une plante verte) vous n’utiliserez pas les mêmes tournures ou les mêmes verbes. Et si vous voyez quelqu’un sourire, pas question d’affirmer « il est heureux« . Vous feriez, malheureux que vous êtes, preuve d’une audace terrible en vous mettant à la place d’un tiers. Vous direz plutôt « je pense que… », « il me semble que... » Bref, il s’agit d’être subtil et toujours modeste. Pas facile !
Je n’ai pas mes yeux dans mes poches.
Si je déteste qu’on lise derrière mon épaule, j’adore plonger dans la lecture de mes voisins de métro. Et ici, la stupeur est toujours au rendez-vous. Malgré le papier qui recouvre généralement la couverture et le dos des ouvrages, on peut tout à son aise découvrir le contenu éloquent des pages intérieures : des dessins d’une violence inouïe. Torturés, explosés, décomposés, possédés, violés… les héros subissent les pires sévices sous mes yeux effarés et le regard stoïque de mon lecteur, pas gêné, pas troublé. La ville de Tokyo, elle, a décidé de sévir devant ce type de littérature. Elle prévoit de restreindre la diffusion d’images sexuellement provocantes mettant en scène des mineurs. Les éditeurs et auteurs, outrés, sont déjà descendus dans les rue pour défendre leur liberté d’expression. Le duel a commencé, mais qui va gagner ?
Pas question de repartir les mains vides ! Où que vous alliez au Japon, la tradition veut que vous rentriez chez vous les bras chargés d’omiyage, ces souvenirs qui, plus encore peut-être que les photos, attestent de votre voyage. Les gares sont ainsi cernées de petits magasins regorgeant de spécialités locales : pickles, confitures, alcools et gâteaux en tous genres (notamment à la pâte de vous savez quoi). De Sendai, on peut ramener de la langue de boeuf. De Kyoto, vous rapporterez de délicieuses tuiles à la cannelle. De Sapporo, vous alourdirez vos bagages de bouteilles de bière et de langues de chat au chocolat blanc, une tuerie pour les gourmands. Bref, les idées de cadeaux ne manquent jamais et les occasions d’acheter non plus. Reste à savoir à qui vous offrirez ces présents : à vos collègues de travail, à vos proches ou à vous-même ?
Je suis allée ce week-end dans les environs de Nagano, un merveilleux coin du Japon, montagneux et merveilleusement fertile. On y plante les dents dans de belles pommes rouges, on se régale d’abricots et on peut visiter de vertes rizières. Mais cela n’a pas toujours été ainsi. Il y a longtemps, les sols étaient si pauvres qu’on comptait les bouches à nourrir. Le bon sens pratique voulait alors qu’on se débarrasse des grands-mères (et grands-pères, je suppose) dès 70 ans. On les emmenait dans un lieu reculé et on les laissait mourir. Évidemment, les temps ont bien changé et aujourd’hui, les personnes âgées ont même leur fête ! J’ajoute qu’avec plus de 40 000 centenaires, imaginez l’encombrement des forêts s’il fallait encore les y perdre.
PS : Si vous êtes cinéphile, je vous invite à regarder « La ballade de Narayama » inspirée de cette légende.
PS 2 : Obasute est village pittoresque dont le nom signifie littéralement « jetez la grand-mère ».
Les célèbres cerisiers japonais créent chaque année l’événement.
Leur période de floraison, annoncée lors d’un cérémonial très attendu, donne le signal de départ de o-hanami – littéralement « regarder les fleurs ». On se presse dans les parcs et le long des rivières pour prendre des photos et surtout, on déploie sur les sols d’immenses bâches qui accueilleront tous les amis pour un pique-nique mémorable et copieusement arrosé. Le repas se limite parfois à un bento tout simple, mais il devient parfois très élaboré lorsqu’on installe un réchaud ou un petit barbecue. On se régalera alors de brochettes ou de nouilles sautées. Naturellement, on se garde bien de souiller les lieux et chacun dépose ses déchets (triés) dans de grandes poubelles exceptionnellement installées pour l’occasion (et si vous aviez une envie pressante, pas question de chercher un fourré, vous ferez la queue une heure devant les toilettes publiques comme tout le monde). Que l’on soit jeune, vieux, aisé, modeste ou même blasé, o-hanami invite à la communion et chaque Japonais y participe de bon coeur.
Cette année hélas, la pluie, le vent, et les températures ont gâché la fête à Tokyo.
Il faudra donc étudier le mouvement de la ligne de floraison des cerisiers dite « sakura senzen » pour savoir où et quand se rendre pour admirer ces merveilles de la nature. Aux dernières nouvelles, Sapporo donnera le coup d’envoi des festivités de o-hanami plus d’un bon mois après la capitale. Ce sera le 5 mai prochain, vous avez encore le temps d’y arriver !
Les bacs bleu et vert, ça vous dit quelque chose ? Ah, c’était le bon temps ! On fourrait nos sacs dans l’une et dans l’autre, on jetait les cartons, les journaux, les packs de lait. Simple. Limpide.
Au Japon, mes amis, les poubelles sont une toute autre histoire et s’en occuper constitue un travail à part entière auquel il faut s’atteler à chaque instant, en guettant le moindre écart. Pour que vous me compreniez, je vous explique la corvée dans les grandes lignes. D’abord, il y a deux catégories de déchets : les combustibles et les non-combustibles. Facile me direz-vous, mais le plastique par exemple, je le considère comment ? Il se brûle, c’est vrai, mais que penser des fumées toxiques qu’il dégage ? Ah, on fait moins les malins quand on se met à réfléchir à l’impact de la combustion de tel ou tel objet sur la santé. Mais passons. Ici, une fois par semaine, la mairie installe de grands bacs dans les rues : on y range les canettes accumulées et broyées à la main, les bouteilles en plastique, sans capuchon ni papier, et tout ce qui est en verre – bouteilles, pots, flacons. Et le papier alors ? Vous le sortez un jour donné, bien empaqueté. Vos cartons sont aplatis et reliés par une ficelle, les journaux itou (et quand il pleut, il est bien vu de les couvrir avec un plastique). Après plus d’un an à se régime, j’ai les poignets drôlement assouplis et les muscles bien raffermis.
Quant à ceux qui s’imaginent pouvoir gruger les éboueurs, ils ne savent pas quel retour de bâton les attend. Les sacs étant transparents, il est facile de savoir si une bouteille en verre a malencontreusement (!) été glissée parmi les déchets combustibles. En signe de réprimande, votre poubelle ne sera pas emmenée et elle restera pourrir devant votre porte avec un autocollant rageur (mais pédagogique sur le tri citoyen) jusqu’à ce que vous y fassiez vous-même le ménage. Un ami en a fait la douloureuse et odorante expérience : à présent, croyez-moi, il sait à quoi s’en tenir avec les ordures !
On dit souvent que l’on savoure d’abord avec les yeux. On se régale d’une forme délicate, d’une couleur vive, d’une présentation inédite. On salive rien qu’à regarder ! Au Japon plus qu’ailleurs, les gourmands en prennent plein les mirettes. Photos de plats en devanture, « plastic food » ultra-réaliste, cuisine ouverte sur les grands fourneaux des chefs, on est sans cesse sollicité. Et quand on s’est enfin décidé à entrer dans un restaurant, même chose. Les plats dessinent de si merveilleux tableaux gustatifs qu’on ne noierait dans leur contemplation. Le seul hic, c’est qu’en période de gastro-entérite, cette abondance vire au cauchemar. Allez, vivement que je me remette, je vous raconterai les odeurs et les fumets, un sujet que ne sens pas trop aujourd’hui (tiens, on se demande pourquoi).