Chez les Japonais
Je me souviens d’un reportage qui, de façon exceptionnelle, s’immisçait dans l’intimité d’une famille japonaise. La caméra suivait la cadence du père, qui sombrait parfois de fatigue sur la moquette de son bureau et passait pour un excentrique du seul fait qu’il offrait un cadeau à sa femme pour son anniversaire. On interrogeait la mère qui disait être fière d’être maîtresse chez elle, sous-entendant que gagner l’argent du ménage n’était pas tout. On voyait les enfants à l’école, en randonnée ou penchés sagement sur une page à calligraphier.
En vivant ici, je me rends compte de l’extraordinaire de ce petit film. Car au Japon, on ne reçoit pas chez soi. On s’invite au restaurant, on part ensemble en voyage, mais on accueille peu. Discrétion ? Modestie ? Gêne anticipée qu’on s’oblige à ne pas montrer ? Tout cela crée un voile de mystère sur la vraie vie des Japonais.
Il y a quelques semaines, j’ai, pour la première fois, eu le plaisir de déjeuner dans une famille totalement japonaise. Ce repas m’a beaucoup touchée et même enthousiasmée.
J’ai vu l’autel des ancêtres où l’on vient se recueillir.
J’ai vu la maîtresse de maison s’affairer avec son grand tablier autour de la taille.
J’ai vu mon hôte sortir un arbre généalogique remontant à des dizaines de générations.
J’ai vu les fraises côtoyer les sushis, les salades de fougères, les aubergines farcies au tofu et la quiche aux pommes de la voisine.
J’ai vu les litres de bière, de saké et de champagne déversés sans fin dans ma toute petite tasse (j’ai donc constaté l’égalité hommes femmes devant la boisson).
J’ai vu qu’on vivait ici, en toute simplicité, sans façons et avec beaucoup de générosité.
Alors j’ai pensé : à quand la prochaine ?