Tu ne diras pas non
Aussi incroyable que cela puisse paraître, on ne vous refuse jamais rien ici. Question de tact. On ne veut pas vous heurter, vous embarrasser, vous gêner. Pourquoi vous jeter un « non » à la figure alors qu’on peut vous exposer de nombreuses excuses qui sous-entendent avec finesse que cela ne va pas être possible ? Pour vous exercer, voici quelques exemples très simples :
Puis-je réserver pour 8 heures ce soir ?
Réponse : ah… ça va être difficile (traduction : c’est impossible).
Pouvez-vous me livrer du kérosène ce dimanche ?
Réponse : ah… lundi, oui (donc, c’est mort pour dimanche).
Et si nous allions au cinéma ensemble demain ?
Réponse : un peu… désolé… (traduction : tu veux vraiment un dessin).
Et ainsi de suite….
L’histoire se complique lorsque vous avez besoin d’une réponse précise. Connaissez-vous le chemin pour aller à l’office du tourisme ? Au lieu de vous répondre tout bonnement non – ce qui ne vous vexerait pas outre-mesure – l’ignorant préfèrera souvent vous indiquer une route fantaisiste qui vous perdra davantage. C’est un peu idiot, non ?
PS : Le « non » ne se dit quasiment qu’en une seule occasion. Si quelqu’un vous remercie encore et encore, vous pourrez laisser tomber un non confus qui équivaudra à : cela est trop, vraiment vous me gênez, restez mesuré voyons, tout le plaisir est mien…
Cliché
Pour me reconnaître, avait dit cet ami japonais à ma tante, guettez un homme petit, avec des yeux bridés et un appareil photo autour du cou. Cette description, lancée comme une boutade, reflète pourtant bien l’idée que l’on se fait habituellement des Japonais. Après deux ans de vie ici, je crois cependant pouvoir affirmer que cette caricature n’est presque plus valable. Les filles sont blondes et ondulées, les garçons prennent de la hauteur grâce à d’astucieuses talonnettes (mais pas seulement) et les yeux ronds sont bordés de cils démesurés. En revanche… l’appareil photo, lui, est toujours là et bien là. Il mitraille. Il immortalise. Il s’exhibe et c’est à qui aura le plus gros, le plus long ou le plus lourd. On le porte à bout de bras, mais il se pose volontiers sur un trépied que l’on emportera avec soi, en plus des quelques kilos d’objectifs nécessaires. Heureusement, pour vous éviter tout embarras quant au choix de l’emplacement, les Japonais prennent généralement soin de vous indiquer l’endroit où vous prendrez la photo idéale (c’est là !). Pour cela, ils placent un panneau indicatif avec mention des lieu et date (Mont Aso, 5 mai 2010 par exemple), ils ajoutent un escabeau (pour l’angle de la prise de vue), ainsi qu’une ligne qui vous permettra de faire la queue. Ensuite, chacun viendra à tour de rôle prendre sa photo souvenir. Une fois de plus, j’admire le bon sens pratique japonais. Pour autant, je crains qu’avec ce système votre image ne soit… un peu clichée ?
Pourquoi il faut travailler ses kanji
Mais qu’elles avaient l’air bonnes ces brochettes !
Il faut dire qu’après un réveil à 6h du matin, 1h36 de train, 40 min de bus, 4 min de « cable car » et 2h de balade en terre volcanique aussi brûlante que venteuse, j’aurais avalé un éléphant.
Ah ces brochettes ! sur ce barbecue rudimentaire (mais tant pis), arrosées d’épices mystérieuses et savamment retournées par un cuisinier rustique à souhait, je me suis précipitée dessus. Et là, mes amis, quel délice. Je déclare donc, en fine connaisseuse, « ce boeuf est vraiment est délicieux ». Hélas, me répond mon cher compagnon de route, d’après les kanji que je vois là, tu viens d’avaler du cheval. Arghl !
NB : pour comprendre la drôlerie de ce billet, il faut savoir, que je me refuse absolument à manger de cet animal familier, tout comme j’évite le lapin. Par ailleurs, mes convictions m’incitent à renoncer à l’ours (j’en ai quand même un pâté dans mon frigidaire) ainsi qu’à la baleine.
Nagasaki
C’est une ville que l’on réduit trop souvent au terrible drame qu’elle a vécu lors de la seconde guerre mondiale. Pourtant, Nagasaki n’est pas que ça. Loin de là ! Pour moi, elle est le symbole fragile de l’ouverture du Japon à l’influence étrangère. Les voiliers portugais chargés de missionnaires s’y sont arrêtés il y a 400 ans, laissant derrière eux d’émouvantes églises, une importante communauté chrétienne et de délicieux gâteaux en forme de cake et au goût de biscuits à la cuiller qu’on appelle ici « casutera« . Les commerçants hollandais y ont établi leurs commerces et introduit de nombreuses découvertes scientifiques. Les marins chinois s’y sont installés en nombre avec leurs coutumes, leur cuisine et leurs temples rouges. Chaque année en octobre, ils font encore parader dans les rues d’immenses dragons de toutes les couleurs. C’est donc une ville qui ne ressemble à aucune autre dans ce pays, une cité paradoxale, à la fois douloureusement marquée et fabuleusement enrichie par l’histoire. Vous l’avez deviné, Nagasaki est une perle rare qui dessine un autre visage du Japon, peut-être celui qui me touche le plus.
Miso Soup
Voilà un livre qui s’avale d’une traite et laisse un épais goût de sang dans la bouche. Kenji a vingt ans. Il officie comme guide de nuit pour étrangers dans le quartier chaud de Tokyo. C’est ainsi qu’il va rencontrer Franck, un américain à la peau étrangement artificielle dont les contradictions vont semer le doute dans l’esprit du narrateur. Qui est Franck : un touriste qui veut s’amuser, un voyeur un peu malsain, un redoutable assassin ? Que veut-il et que va-t-il faire de Kenji ?
Dans ce récit tendu à l’extrême, Ryu Murakami interroge la violence d’une société oppressive et dictatoriale qui célèbre l’individualisme et réprime toute possibilité de révolte. Renvoyés dos à dos, le Japon et l’Amérique glissent ensemble vers une issue fatale qui verrait la folie s’imposer comme seule et unique issue possible.
Excellent, mais difficile à avaler.
Chez les Japonais
Je me souviens d’un reportage qui, de façon exceptionnelle, s’immisçait dans l’intimité d’une famille japonaise. La caméra suivait la cadence du père, qui sombrait parfois de fatigue sur la moquette de son bureau et passait pour un excentrique du seul fait qu’il offrait un cadeau à sa femme pour son anniversaire. On interrogeait la mère qui disait être fière d’être maîtresse chez elle, sous-entendant que gagner l’argent du ménage n’était pas tout. On voyait les enfants à l’école, en randonnée ou penchés sagement sur une page à calligraphier.
En vivant ici, je me rends compte de l’extraordinaire de ce petit film. Car au Japon, on ne reçoit pas chez soi. On s’invite au restaurant, on part ensemble en voyage, mais on accueille peu. Discrétion ? Modestie ? Gêne anticipée qu’on s’oblige à ne pas montrer ? Tout cela crée un voile de mystère sur la vraie vie des Japonais.
Il y a quelques semaines, j’ai, pour la première fois, eu le plaisir de déjeuner dans une famille totalement japonaise. Ce repas m’a beaucoup touchée et même enthousiasmée.
J’ai vu l’autel des ancêtres où l’on vient se recueillir.
J’ai vu la maîtresse de maison s’affairer avec son grand tablier autour de la taille.
J’ai vu mon hôte sortir un arbre généalogique remontant à des dizaines de générations.
J’ai vu les fraises côtoyer les sushis, les salades de fougères, les aubergines farcies au tofu et la quiche aux pommes de la voisine.
J’ai vu les litres de bière, de saké et de champagne déversés sans fin dans ma toute petite tasse (j’ai donc constaté l’égalité hommes femmes devant la boisson).
J’ai vu qu’on vivait ici, en toute simplicité, sans façons et avec beaucoup de générosité.
Alors j’ai pensé : à quand la prochaine ?
Les niveaux de langage
La langue japonaise est un carcan sur mesure qui situe exactement votre position dans la société et ne vous autorise jamais à penser pour les autres. Si vous parlez à un supérieur (disons… votre professeur), à votre égal (voyons, votre collègue) ou votre inférieur (un enfant ou une plante verte) vous n’utiliserez pas les mêmes tournures ou les mêmes verbes. Et si vous voyez quelqu’un sourire, pas question d’affirmer « il est heureux« . Vous feriez, malheureux que vous êtes, preuve d’une audace terrible en vous mettant à la place d’un tiers. Vous direz plutôt « je pense que… », « il me semble que... » Bref, il s’agit d’être subtil et toujours modeste. Pas facile !
Lecture
Je n’ai pas mes yeux dans mes poches.
Si je déteste qu’on lise derrière mon épaule, j’adore plonger dans la lecture de mes voisins de métro. Et ici, la stupeur est toujours au rendez-vous. Malgré le papier qui recouvre généralement la couverture et le dos des ouvrages, on peut tout à son aise découvrir le contenu éloquent des pages intérieures : des dessins d’une violence inouïe. Torturés, explosés, décomposés, possédés, violés… les héros subissent les pires sévices sous mes yeux effarés et le regard stoïque de mon lecteur, pas gêné, pas troublé. La ville de Tokyo, elle, a décidé de sévir devant ce type de littérature. Elle prévoit de restreindre la diffusion d’images sexuellement provocantes mettant en scène des mineurs. Les éditeurs et auteurs, outrés, sont déjà descendus dans les rue pour défendre leur liberté d’expression. Le duel a commencé, mais qui va gagner ?
Les omiyage
Pas question de repartir les mains vides ! Où que vous alliez au Japon, la tradition veut que vous rentriez chez vous les bras chargés d’omiyage, ces souvenirs qui, plus encore peut-être que les photos, attestent de votre voyage. Les gares sont ainsi cernées de petits magasins regorgeant de spécialités locales : pickles, confitures, alcools et gâteaux en tous genres (notamment à la pâte de vous savez quoi). De Sendai, on peut ramener de la langue de boeuf. De Kyoto, vous rapporterez de délicieuses tuiles à la cannelle. De Sapporo, vous alourdirez vos bagages de bouteilles de bière et de langues de chat au chocolat blanc, une tuerie pour les gourmands. Bref, les idées de cadeaux ne manquent jamais et les occasions d’acheter non plus. Reste à savoir à qui vous offrirez ces présents : à vos collègues de travail, à vos proches ou à vous-même ?
Obasute
Je suis allée ce week-end dans les environs de Nagano, un merveilleux coin du Japon, montagneux et merveilleusement fertile. On y plante les dents dans de belles pommes rouges, on se régale d’abricots et on peut visiter de vertes rizières. Mais cela n’a pas toujours été ainsi. Il y a longtemps, les sols étaient si pauvres qu’on comptait les bouches à nourrir. Le bon sens pratique voulait alors qu’on se débarrasse des grands-mères (et grands-pères, je suppose) dès 70 ans. On les emmenait dans un lieu reculé et on les laissait mourir. Évidemment, les temps ont bien changé et aujourd’hui, les personnes âgées ont même leur fête ! J’ajoute qu’avec plus de 40 000 centenaires, imaginez l’encombrement des forêts s’il fallait encore les y perdre.
PS : Si vous êtes cinéphile, je vous invite à regarder « La ballade de Narayama » inspirée de cette légende.
PS 2 : Obasute est village pittoresque dont le nom signifie littéralement « jetez la grand-mère ».