O-hanami
Les célèbres cerisiers japonais créent chaque année l’événement.
Leur période de floraison, annoncée lors d’un cérémonial très attendu, donne le signal de départ de o-hanami – littéralement « regarder les fleurs ». On se presse dans les parcs et le long des rivières pour prendre des photos et surtout, on déploie sur les sols d’immenses bâches qui accueilleront tous les amis pour un pique-nique mémorable et copieusement arrosé. Le repas se limite parfois à un bento tout simple, mais il devient parfois très élaboré lorsqu’on installe un réchaud ou un petit barbecue. On se régalera alors de brochettes ou de nouilles sautées. Naturellement, on se garde bien de souiller les lieux et chacun dépose ses déchets (triés) dans de grandes poubelles exceptionnellement installées pour l’occasion (et si vous aviez une envie pressante, pas question de chercher un fourré, vous ferez la queue une heure devant les toilettes publiques comme tout le monde). Que l’on soit jeune, vieux, aisé, modeste ou même blasé, o-hanami invite à la communion et chaque Japonais y participe de bon coeur.
Cette année hélas, la pluie, le vent, et les températures ont gâché la fête à Tokyo.
Il faudra donc étudier le mouvement de la ligne de floraison des cerisiers dite « sakura senzen » pour savoir où et quand se rendre pour admirer ces merveilles de la nature. Aux dernières nouvelles, Sapporo donnera le coup d’envoi des festivités de o-hanami plus d’un bon mois après la capitale. Ce sera le 5 mai prochain, vous avez encore le temps d’y arriver !
Les poubelles
Les bacs bleu et vert, ça vous dit quelque chose ? Ah, c’était le bon temps ! On fourrait nos sacs dans l’une et dans l’autre, on jetait les cartons, les journaux, les packs de lait. Simple. Limpide.
Au Japon, mes amis, les poubelles sont une toute autre histoire et s’en occuper constitue un travail à part entière auquel il faut s’atteler à chaque instant, en guettant le moindre écart. Pour que vous me compreniez, je vous explique la corvée dans les grandes lignes. D’abord, il y a deux catégories de déchets : les combustibles et les non-combustibles. Facile me direz-vous, mais le plastique par exemple, je le considère comment ? Il se brûle, c’est vrai, mais que penser des fumées toxiques qu’il dégage ? Ah, on fait moins les malins quand on se met à réfléchir à l’impact de la combustion de tel ou tel objet sur la santé. Mais passons. Ici, une fois par semaine, la mairie installe de grands bacs dans les rues : on y range les canettes accumulées et broyées à la main, les bouteilles en plastique, sans capuchon ni papier, et tout ce qui est en verre – bouteilles, pots, flacons. Et le papier alors ? Vous le sortez un jour donné, bien empaqueté. Vos cartons sont aplatis et reliés par une ficelle, les journaux itou (et quand il pleut, il est bien vu de les couvrir avec un plastique). Après plus d’un an à se régime, j’ai les poignets drôlement assouplis et les muscles bien raffermis.
Quant à ceux qui s’imaginent pouvoir gruger les éboueurs, ils ne savent pas quel retour de bâton les attend. Les sacs étant transparents, il est facile de savoir si une bouteille en verre a malencontreusement (!) été glissée parmi les déchets combustibles. En signe de réprimande, votre poubelle ne sera pas emmenée et elle restera pourrir devant votre porte avec un autocollant rageur (mais pédagogique sur le tri citoyen) jusqu’à ce que vous y fassiez vous-même le ménage. Un ami en a fait la douloureuse et odorante expérience : à présent, croyez-moi, il sait à quoi s’en tenir avec les ordures !
A voir et à manger
On dit souvent que l’on savoure d’abord avec les yeux. On se régale d’une forme délicate, d’une couleur vive, d’une présentation inédite. On salive rien qu’à regarder ! Au Japon plus qu’ailleurs, les gourmands en prennent plein les mirettes. Photos de plats en devanture, « plastic food » ultra-réaliste, cuisine ouverte sur les grands fourneaux des chefs, on est sans cesse sollicité. Et quand on s’est enfin décidé à entrer dans un restaurant, même chose. Les plats dessinent de si merveilleux tableaux gustatifs qu’on ne noierait dans leur contemplation. Le seul hic, c’est qu’en période de gastro-entérite, cette abondance vire au cauchemar. Allez, vivement que je me remette, je vous raconterai les odeurs et les fumets, un sujet que ne sens pas trop aujourd’hui (tiens, on se demande pourquoi).
L’étudiante
Elle s’était inscrite pour 4 jours en immersion totale dans une famille française de Tokyo. Elle est tombée sur la mienne. Elle est donc arrivée sous une pluie battante et glacée à peine couverte d’une petite veste légère. Elle avait une mine de chat sauvage et de longs cheveux lissés de cette drôle de couleur de teinture typiquement japonaise : caramel ?
Pour la mettre à l’aise, je lui ai tout de suite annoncé que j’avais préparé un gâteau au chocolat en son honneur, elle a esquissé une grimace polie : le chocolat, pas trop pour elle, ni les choses sucrées en général. J’ai pensé zut. Nous avons dîné en tâchant d’échanger quelques mots, puis elle a demandé si elle pouvait prendre un bain. Mais bien sûr ! Elle y est restée un moment (c’est peu dire).
Au matin, elle s’est contentée de grignoter du pain en regardant avec étonnement les céréales et le yaourt que je lui proposais. De mon côté, je revoyais clairement ma propre surprise devant les oeufs de poissons offerts le matin en ryokan – chacune son tour. Le soir, j’ai tenté un bout de conversation. Connaissait-elle des chanteurs français ? (Non.) Des acteurs alors… comme Sophie Marceau ? (Non.) Euh… était-elle déjà allée en France ? (Non.) Ah. Finalement, elle a admis – puisqu’elle étudie la culture et la littérature françaises à l’université – avoir lu Camus. C’est pas rien L’étranger ! Nous avons terminé le repas, puis elle a demandé si elle pouvait prendre une douche. Elle y est restée un moment (c’est rien de le dire).
Le soir d’après, histoire de passer le temps, je lui avais réservé une surprise. Hé ! hé ! Les Fourberies de Scapin en français (sous-titrées en japonais), avec que des bons acteurs : Torreton, Podalydes… La crème de la crème. Bon, je sais, j’ai mis la barre un peu haut mais que voulez-vous, je n’ai trouvé que ça à l’Institut franco-japonais près de chez moi. Le lendemain, nous sommes allés dîner chez une copine qui elle-même hébergeait une étudiante japonaise. Là, nous avons chanté (en fait, braillé), dansé le rock (donc, gigoté), les enfants ont fait une démonstration de tecktonik, nous avons mangé du fromage de contrebande et bu du champagne… elle en est restée baba. Le savoir-vivre à la française, sans doute l’imaginait-elle plus distingué ?
Son dernier jour est finalement arrivé. En guise de merci, elle m’a remis en partant une petite carte adorable écrite dans le secret de sa chambre avec un croquis de tous les membres de la famille. Chacun était identifié par un objet et une phrase caractéristiques. Moi, je demande « ça va ? » la question de base que j’ai réussi à lui poser 35067890 fois environ en quatre jours seulement (un record) ; j’ai aussi mon ordinateur sous le bras – il fallait s’y attendre.
De mon côté, si je devais la dessiner, je l’enchaînerais à son téléphone portable rose et elle demanderait « est-ce que je peux utiliser la salle de bain ? » (quand je vous dis que les japonais sont propres). Allez Aina, tu reviens quand tu veux !
Monsieur Météo
Il existe ici un homme qui a le pouvoir d’influer directement sur le comportement de millions de Japonais. Cet homme aux responsabilités titanesques, c’est le chef de la Japan Meteorological Agency. Chaque année, il lui incombe d’annoncer au jour près la date de début de floraison des cerisiers. Il donnera ainsi le coup d’envoi officiel à la saison de 0-Hanami qui draine quantité de passionnés dans les parcs et jardins de tous les pays.
A Tokyo, le 22 mars devait voir poindre les premières fleurs, sachant que la période la plus propice à la contemplation des sakura s’étendrait du 26 mars au 6 avril. Admirez la précision de l’agenda ! Il faut dire qu’autour de ces dates s’organisent de nombreuses festivités, sorties et pique-niques. Monsieur Météo a intérêt à ne pas se tromper comme ce fut le cas en 2007. Cette année-là, pour avoir anticipé de 3 jours le lancement de Hanami, le grand homme a été contraint de présenter des excuses publiques. Il a ainsi reconnu : « nous avons perturbé les usagers avec notre (mauvaise) information« .
Attention, hein, va pour une fois mais qu’on ne l’y reprenne pas !
Les cours de natation
La première fois que j’ai essayé d’inscrire ma fille en France, on a doucement ricané. Avant 6 ans, les enfants ne sont pas suffisamment coordonnés pour pouvoir apprendre à nager. Allons, Madame, un peu de sérieux voulez-vous ? Ce maître-nageur, si sûr de lui, serait certainement étonné de voir les petits Japonais de 4 ans multiplier les longueurs comme des champions. En outre, il serait probablement atterré par le mode d’apprentissage imposé aux plus jeunes. En France… il s’agit d’abord de ne pas avoir peur de l’eau. On étudie donc la méthode de survie n°1 en milieu aquatique : la célèbre nage du petit chien ! Peu importe la beauté du geste, on barbote vaguement et si la tête surnage, c’est gagné. Ensuite, on tente quelques longueurs avec de vagues mouvements de grenouille puis c’est l’heure des jeux : on saute, on s’éclabousse, on rigole. On s’amuse ! Ici, rien de tout cela. La natation, ce n’est pas de la rigolade. On commence par apprendre les bases : la planche, face et dos. Ensuite, on décortique les différentes nages (dans l’ordre : crawl, brasse et papillon) en décomposant les gestes. Durant certaines séances, les apprentis nageurs ne feront que battre des pieds. Ensuite, ils perfectionneront la rotation de la tête et la respiration. Une autre fois, cap sera mis sur l’exercice du bras droit qui passera son temps en moulinets plongeants. On ne combinera le tout qu’à la fin. Évidemment, on reste un peu sur sa faim au début. Annoncer fièrement que sa fille maîtrise les jambes et le bras droit au crawl prête plutôt à sourire. Mais l’effort est finalement récompensé. L’enfant passe bientôt du bonnet orange au bleu clair, puis au marine (comme les ceintures au karaté). Il ne coule plus, il nage bravement. C’est gagné, le petit chien peut aller se rhabiller.
Lame à gauche
Quand je rentre en France, je dois toujours me concentrer très fort pour me positionner correctement sur les escalateurs. Au Japon en effet, on roule, on marche et on grimpe les escaliers toujours du même côté : le gauche. L’origine de cette habitude ? D’après la légende, elle viendrait du temps où l’on se baladait le sabre à la hanche, prêt à être prestement dégainé de la main droite. Pour éviter un cliquetis de fourreaux se percutant accidentellement, on se croisait donc du seul côté libre ! Alors… fadaise, mythe ou origine avérée, à vous de déceler dans cette histoire la part de vérité qui pourrait s’y nicher.
La cigarette
Vous la croyiez en voie de disparition ? Allons bon. C’est que nous n’êtes jamais venu au Japon. Ici, elle conserve toute sa place. Vendue à prix (relativement) modique dans de nombreux distributeurs automatiques ou petites supérettes, elle continue de trouver preneur chez l’un des 26 millions d’accrocs que compte le pays. Le fumeur, en outre, n’est pas stigmatisé. Il vit sa vie de fumeur dans des zones réservées aux fumeurs. Les cafés, les restaurants ou les bars l’installent dans quelque espace dédié et la chaussée l’accepte bien volontiers dans un espace délimité avec cendrier à disposition. Depuis peu cependant, les choses changent. Incroyable mais vrai, les hôpitaux sont sur le point de devenir entièrement non-fumeurs et l’état, toujours en manque d’argent, a bien l’intention d’augmenter le prix des cigarettes – il en tirerait alors un joli pactole qu’il serait trop bête de laisser partir en fumée.
Un bon p’tit somme
Vous l’aurez compris, les journées des Japonais sont telles que chaque moment de répit est bon à prendre. On se laisse donc souvent aller à une sieste improvisée sur les sièges du métro, les bancs des squares ou la lunette des toilettes. Il y en a même qui réussissent l’exploit de dormir bien droit, assis à leur poste de travail. Ainsi, il n’est pas rare de devoir taper à la vitre d’un guichet pour réveiller celui qui roupille sagement derrière. Et le plus agréable, c’est que personne ne vous juge. En France, le sommeil hors de la maison est louche. Il offense l’idée qu’il faut savoir se tenir en société. Il parle de relâchement, d’exhibition et de risques bêtement encourus face aux mains insidieuses des pickpockets. Ici, rien de tout cela. Vous dormez. Cela ne prête ni à jugement, ni à conséquence. Pour ma part, je n’hésite jamais à piquer un petit somme, à moitié avachie sur ma voisine de train qui elle-même somnole contre un salaryman crevé. Finalement, notre voiture se transforme en dortoir roulant, avouez qu’il y a pire pour voyager !
White Day
Rembobinons. Remontons disons… au 14 février. Vous vous souvenez ? Je vous racontais qu’au Japon ce jour-là, ce sont aux femmes d’offrir des chocolats aux hommes, en attendant le fameux retour d’ascenseur un mois plus tard. A présent, regardez vos calendriers. Oui. Vous avez bien lu : nous sommes le 14 mars. Aux garçons de rendre la pareille et, si possible, avec un cadeau d’une valeur trois fois supérieure à celui qui aura été reçu – merci à cette bonne vieille tradition japonaise. Avec les kilos de pralinés que j’ai offerts, je comptais donc bien recevoir aujourd’hui mon poids en douceurs. Qu’en a-t-il a été, je vous le donne en mille ? Tintin, rien (ça m’apprendra à parler régime à tout bout de champ).
Nota bene : on appelle ce jour le « White Day », car il a été lancé en 1965 par une entreprise spécialisée dans les marshmallows. Désormais on peut offrir ces confiseries, mais aussi des chocolats blancs, des cookies, des sacs ou des bijoux. Avis aux gentlemen (s’il en reste).