L’impasse
En quittant définitivement le Japon, une amie me laisse gentiment son vélo. Elle le dépose chez moi, sans autre forme de procès ou de manière, ma foi pourquoi pas, c’est gentil. A l’usage hélas, je me rends compte qu’il est lourd et peu maniable, je décide donc de le donner à mon tour à une Philippine qui s’en servira bien plus que moi. Quelle erreur ! Je ne savais pas que tous les deux-roues sont immatriculés et déclarés à la police du quartier. Ainsi, ils retrouvent toujours leur propriétaire. Le hic, c’est que ce vélo a été retrouvé au pied d’un immeuble qui n’est pas son lieu de résidence officiel. Le zèle japonais aidant, il a aussitôt été emmené dans je ne sais quelle fourrière. Pour le récupérer, il faudrait prouver qu’il m’a été offert et qu’à mon tour j’en ai fait cadeau, ce qui équivaudrait à 4 heures minimum de dialogue de sourd dans un commissariat japonais.
Euh… en ai-je vraiment envie ?
Cache-misère
Ici, ma fille n’a pas peur de prendre le métro.
Elle ne risque pas de croiser un homme au regard torve qui la fixera au point de lui faire baisser les yeux et de faire des cauchemars nuit après nuit. Personne ne lui tend la main pour une petite pièce s’il vous plaît et lorsque c’est le cas, il s’agit d’un moine immobile au beau chapeau de paille, une silhouette fixe et rassurante.
Dans le parc près de chez nous, il y a pourtant quelqu’un, une présence sous un parapluie en plastique transparent. Il ne dit rien et tout le monde l’ignore. Aujourd’hui, cet homme n’existe pas. La société, aveugle, ne lui reconnaît aucune place. Pourtant, il vit en dessous du seuil de pauvreté comme 1 Japonais sur 6.
Sans espoir
L’apprentissage des langues permet non seulement de communiquer mais d’en savoir beaucoup plus sur la culture du pays. Le résultat est d’autant plus passionnant ! Chez les esquimaux, par exemple, la couleur blanche ne se résume pas à un misérable mot, il varie selon qu’on y voit un peu de rose, de bleu ou de gris. Ainsi, au lieu de vivre dans un paysage d’une monotonie infinie, ils évoluent dans un monde en technicolor qui nous est paradoxalement inaccessible.*
En japonais, on utilise de nombreux mots qui n’ont pas d’équivalent en français ou pour lesquels il faut faire de longues phrases compliquées. Je vous avais parlé du karoshi (mort par overdose de travail), ce simple terme en dit long sur l’épuisement des salariés ici. Eh bien hier, j’ai découvert que le verbe « espérer » n’existait pas. Du moins pas à l’oral ! On ne peut pas dire « j’espère qu’il fera beau demain », on dira « je pense » ou « j’ai envie qu’il fasse beau demain ». J’en déduis que la notion d’espoir est étrangère aux Japonais dont le langage est rationnel, précis, articulé et nuancé. En même temps, cette découverte me rend triste et même me dés-espère.
* J’expose ici une théorie que j’ai entendue mais pas validée. Les experts en inuit me corrigeront ou préciseront si besoin.
La tomate pourrie
Au programme de cette journée exaltante : courses – c’est un peu répétitif, je vous l’accorde, mais c’est la vie japonaise qui veut ça. Je fais donc mes emplettes (comme hier et comme demain) et m’apprête à payer quand la caissière, après avoir retourné chacune des cinq tomates de mon cageot, s’aperçoit que l’une d’entre elles est trop mûre. Croyez-vous qu’en bonne commerçante, elle se serait félicitée d’avoir refilé à une pauvre étrangère un légume invendable ? Ce serait méconnaître les Japonais ! Fière d’avoir repéré la faille, elle brandit la tomate pourrie tel un trophée et file aussi sec me la remplacer.
En France ou ailleurs, disons dans la majorité des moyennes et grandes surfaces, qui se serait intéressé à la qualité des produits vendus ?
Franchement ?
Personne.
Cela dit, cela dit… on ne trouve pas ici de caissettes d’abricots tout bosselés ou à demi-décomposés qui feraient néanmoins d’excellentes confitures. On ne peut pas tout avoir !
Les collants
J’ai finalement gardé pour moi un cadeau japonais que je destinais à une femme fatale dont je connais le penchant affirmé pour les accessoires de mode. J’ai donc glissé ma jambe droite dans un voile opaque noir tandis que la gauche se couvrait d’une incroyable impression zèbre. Oui, c’est très chic et assez peu commun.
Cela dit, pour le Japon, ce collant n’a rien d’une fantaisie ; selon les critères locaux, il est même assez sage. Résilles, dentelles, carreaux écossais, pois, coeurs, bouches ou oursons : les motifs sont innombrables. Quant aux couleurs, elles sont d’une incroyable variété. Le fluo côtoie le pastel, tandis que le turquoise colle au jaune moutarde. Parfois, paillettes ou rubans viennent égayer le tout. Et bien sûr, vous pourrez opter pour un collant qui dévoilera au choix : votre talon seulement, vos orteils uniquement ou votre pied tout entier.
Reste à trouver la bonne taille. Au-delà du 38… ça risque d’être compliqué.
Le modèle (1ère partie)
Un bon ami me faisait récemment part d’une drôle de proposition qui lui avait été faite par un collègue. Non, il ne s’agissait pas d’aller boire un coup après le boulot (trop classique) ni de se rendre dans un de ces Maid Cafe à Akihabara. Dans cette conversation, il était question de photo.
« Viens avec moi, j’ai loué dimanche les services d’une fille qui va poser pour moi devant le Meiji Jingu. » Etonnant, non ? Comme si un garçon de café parisien – photographe du dimanche (justement) – acceptait de monnayer les services d’une étudiante pour l’immortaliser devant la Tour Eiffel ou Notre-Dame. Je demande si la demoiselle aura une tenue spécifique. Elle sera en kimono, répond cet ami, mais elle pourrait tout aussi bien être en maillot de bain ou en costume de Bioman, c’est comme on veut. Ah.
Je suis perplexe. Qui est ce modèle, pourquoi fait-elle ça, quels sont ses tarifs, est-ce que ses amies font pareil ? Et puis, est-elle jolie au moins ? J’ai envie d’en savoir plus.
Pas vous ?
Les fleurs
Dans le métro, je m’étonnais encore aujourd’hui de voir des alignements de plantes vertes aux feuilles grasses et luisantes. Au pied des immeubles, les buissons sont parfaitement taillés, les arbres protégés par de vastes manteaux de paille, les feuilles mortes soigneusement balayées. Chaque saison voit apparaître de nouvelles fleurs, si bien qu’il y a toujours de la couleur, y compris devant les kobans ces fameux postes de police installés à chaque coin de rue. Les dépliants des jardins célèbres présentent souvent un calendrier des floraisons, on sait quand y aller pour admirer les nénuphars, les iris ou les cerisiers. On peut s’or-ga-ni-ser ! J’aime cet amour de la nature qui, bizarrement, ne laisse aucune place au naturel ou au sauvage – ce n’est pas la jungle ici et la luxuriance est toujours contrainte par l’homme. Parfois, je me dis aussi que j’aimerais bien être japonaise. Ainsi, je ne laisserais pas crever mes cyclamens.
Made in US
Ah, les courses, cette corvée quotidienne !
Vous qui vivez au pays des yaourts vendus par paquets de 16, vous ne connaissez pas votre bonheur. Ici en effet, il sont proposés à l’unité, tout comme les courgettes pré-emballées ou les poires. Quant à la viande, généralement débitée en fines lamelles, elle se conservera deux jours dans votre réfrigérateur. Pas plus.
Si vous envisagez de faire « un plein par semaine », filez chez Costco, cette incroyable chaîne de distribution américaine – parfaite antithèse des petites surfaces japonaises.
Imaginez l’entrepôt de stokage Ikea, bon… eh bien Costco, c’est à peu près ça. Tout y est grand, tout y est dépouillé. Les produits sont présentés sur d’immenses palettes, sans effort minimum de mise en valeur. Vous attrapez votre kilo de céréales ou vos 6 boîtes de sauce tomate et vlan ! dans le chariot. Les donuts (frais) sont vendus par 12, les cakes (frais) par 3, les sushis (frais) par plateaux de 50 x 50 cm. Vous repartez chargé au point de pouvoir tenir un siège de 6 mois.
Que dire… existe-t-il un moyen terme entre la gestion précautionneuse des courses au jour le jour et la surconsommation à l’américaine ? A vous de voir (pendant ce temps, je file au restaurant ça réglera la question).
La bonne position
Mesdames, souvenez-vous… oui, quand une envie pressante vous menait la mort dans l’âme dans le bar des sports d’à côté et que là, en acrobate avertie, vous deviez vous débrouiller pour ne pas maculer vos chaussures en vous soulageant. Entendons-nous bien, je n’ai rien contre les toilettes turques, mais depuis que j’ai découvert le système japonais j’ai une nette préférence pour celui-ci. Le secret de leur hygiène repose sur une astuce toute simple : un rebord très intelligemment positionné devant vous. Plus de gouttelettes tombant de façon intempestive, vous ressortez nickel. Et si vous ne savez pas comment vous placer, un schéma limpide se charge de tout vous expliquer. Royal !
PS : Il existe bien d’autres cuvettes ici, au Japon, avec jets divers, chauffage, désodorisant ou musique. Je vous les détaillerai dans un autre bulletin.
Le docteur
Le saké n’y a rien fait, je tousse depuis deux semaines. Je me décide donc à aller chez le médecin, une visite qui ne manque jamais de me surprendre.
Tout d’abord, personne ne m’accueille avec un sourire compatissant. Les assistantes sont bien cachées derrière un panneau à peine percé d’une alcôve format A3 qui permet tout juste de passer les mains pour présenter sa carte de sécurité sociale. Je suis obligée de me courber en deux pour leur dire bonjour – heureusement que je ne suis pas venue pour un problème de dos. La consultation est pliée rapidement (moins de 5 minutes montre en main), le diagnostic tombe (rien de grave) je retourne auprès des demoiselles fantômes de l’accueil qui me remettront mon traitement. Ici en effet, nul besoin de se rendre à la pharmacie, tout est préparé sur place. La dose exacte de médicaments prescrits m’est donnée dans un petit sachet en papier à mon nom. Chaque plaquette est étiquetée en anglais : je sais quoi prendre, quand et en quelle quantité. Les déchets sont minimes (pas d’emballages superflus, ni de notices incompréhensibles) et je ne m’encombre pas ma maison d’un reliquat de cachets dont je ne saurais que faire. C’est clair, net et précis.
Reste à voir si je me remets.