L’auberge japonaise
C’est un fait : il est possible de voyager dans de petits ryokans à des prix très raisonnables, à condition bien sûr…. d’être seul. Les logements facturent en effet au nombre de voyageurs et non à la chambre. Pour une nuit, l’étudiant baroudeur déboursera 4 500 yens quand la famille March (2 parents et 4 filles) s’en sortira à 27 000 yens, une somme assez rondelette, ma foi. Résultat, pour passer quelques jours à Sendai, j’ai choisi l’option auberge de jeunesse, une solution que je recommande uniquement aux habitués des grands froids (les canadiens, les esquimaux, les sibériens, les ours polaires…).
Que je vous explique.
J’arrive dans cette ville de charme accompagnée de nombreux comparses. Je trouve ce youth hostel sans souci pour une fois et là, formidable : l’accueil est chaleureux, l’endroit paraît chauffé (la cuvette des toilettes l’est en tous cas), les portes coulissantes sont bien ajustées. Je fais le tour du propriétaire, découvre les salles de bain fumantes, les espaces de repos au poêle (!) avec distributeurs de boissons et… la chambre. Jolie, la chambre, avec de GRANDES fenêtres. Le vitrage est un peu fin, mais je ne veux pas faire la fine bouche. Le système de climatisation réversible souffle le chaud. Super ! Petit hic : un papier placardé sur l’appareil précise qu’entre minuit et 7 h du matin l’arrivée électrique sera coupée. Ah ?…
Le soir arrive. Je vais me coucher.
Je déplie mon futon dans lequel est glissée une serviette de toilette et me glisse sous trois couvertures. Il fait bon… ça ne va pas durer. Au beau milieu de la nuit, comme prévu, clac ! plus de chauffage. Dehors, il fait 2°, les fenêtres sont GRANDES (et le vitrage fin). Mon corps a bien chaud, mais ma tête se transforme bientôt en glaçon. C’est terrible ! J’ai une pensée émue pour nos grands-mères en bonnets de nuit… Je finis par attraper la serviette évoquée ci-dessus et me rendors dessous. Je me réveille à 7h00 au son d’un mégaphone qui annonce d’une voix tonitruante que le petit-déjeuner est prêt (en japonais). Ma serviette est toujours collée à mon front bleui, je me sens comme un toucan lost in Alaska. Misère !
La tolérance
Dans un pays où traverser au feu vert constitue la rebelle-attitude par excellence (près de chez moi, les policiers surveillent le passage pour piétons et gare aux coquins qui ne respectent pas la signalisation), il existe un incroyable espace de liberté : la nomikai.
Vous connaissez sans doute. Il s’agit de ces réunions entre collègues qui sont prétexte à un relâchement maximum. Personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion de participer à ce type de soirée (mais j’aimerais, un jour). En revanche, j’ai été spectatrice lointaine et je me suis beaucoup amusée. On boit, on chante, on fume, on vomit, on glousse, on applaudit, on se roule parmi les plats. C’est très gai, mais surtout… personne ne vient déranger ces businessmen en leur demandant de se faire plus discrets. On laisse s’exprimer leurs excès avec une tolérance inouïe. Chapeau !
Interdit aux femmes
Choquée. Je suis choquée.
(Et pourtant, il m’en faut beaucoup.)
Je viens d’apprendre concrètement deux déclinaisons de verbe que je ne dois pas utiliser car je suis… bête ? moche ? méchante ? C’est encore pire. Parce que je (ne) suis (qu’) une femme ! J’en reste comme deux ronds de flans. Il s’agit d’un impératif et d’un prohibitif : fais ci, ne fais pas ça. Ainsi, c’est un peu comme si on autorisait les garçons à dire « tais-toi » alors que les filles se contenteraient d’un « veux-tu te taire ».
Pas d’accord !
Carton rouge
Mais quelle idée j’ai eu de me lancer dans le Japanese Language Proficiency Test !
Malgré des heures de cours et de révision, j’ai l’impression que je ne décrocherai pas ce fameux certificat, inexploitable professionnellement parlant (le niveau 4 se rapproche d’un CP japonais) mais si doux pour l’ego du débutant… Cela dit, il m’aura beaucoup appris sur l’organisation des examens à la mode d’ici.
Tout d’abord, la convocation : elle précise mon nom, le numéro qui m’est attribué, le bâtiment où je dois me rendre, la salle qui m’accueillera et un plan d’accès à mon centre d’examen – en l’occurrence l’immense université de Chofu. Tous les horaires sont indiqués à la minute près, on me recommande même d’emporter mon bento.
Après avoir sué sang et eau pour trouver l’endroit (ce qui ne présage rien de bon puisque je suis censée maîtriser tout le vocabulaire des directions en japonais), j’entre donc dans une vaste pièce. Les tables sont propres et parfaitement alignées, les numéros sont bien visibles, le personnel en costume porte un brassard fluo marqué « staff », il est serviable et m’indique immédiatement où sont les toilettes (je salue intérieurement le bon sens pratique japonais).
A l’heure dite (toujours à la minute près, soit 9h45) : on commence.
Le personnel dépose les feuilles d’examen sur chaque table, puis il repasse dans les rangs pour distribuer le cahier d’exercices. Peut-être pensez-vous que chacun se rue alors sur sa copie, le stylo dégoulinant d’encre ? Non, trois fois non. Le personnel revient d’abord vérifier, place par place, que vous êtes bien la personne dont il a la photo sur sa liste. Il dévisage chaque candidat longuement et je me dis que j’ai une mine affreuse. Vous vous impatientez ? Tss tss… il faut encore écouter le CD dont la voix vous explique tout ce qu’il ne faut pas faire : copier sur le voisin (c’est mal), faire sonner son téléphone (c’est mal), mâcher du chewing-gum (c’est mal) ou sortir sans autorisation (ouh là c’est horrible). Et pas question de rigoler. A la première incartade, c’est carton jaune, ensuite c’est carton rouge et dehors. On annonce enfin qu’on peut commencer.
Ouf, j’allais m’endormir !
PS : J’ai essayé de copier sur ma voisine de 10 ans, mais elle était trop loin, quel dommage ! Je vous aurais raconté la suite du carton rouge.
La jetée
Il existe près de Shinjuku, un coin protégé de quelques rues étroites où s’alignent les bars. Des bars si petits que vous n’y tiendrez pas à dix, sauf à boire sur la tête de votre voisin. Cet endroit s’appelle le Golden Gai et on peut certainement s’attendre à y croiser une bande de yakuza, quelques travestis et une poignée de cinéastes célèbres. Moi, j’y étais hier, sur les traces de Wim Wenders interviewant Chris Marker dans son film Tokyo Ga. Cette rencontre culte a été filmée dans un bar minuscule appelé la Jetée et tenu par des cinéphiles avertis qui parlent un français parfait. Pour vous y rendre, repérez la porte avec un chat, montez un escalier dont les murs sont punaisés d’affiches de film, entrez. La pièce fait 9 m2 au plus, avec le comptoir, deux bancs et deux tabourets hauts en cuir patiné. Les murs sont bordés d’étagères où sont disposés d’innombrables bouteilles de whisky japonais signées par les personnalités célèbres ayant fréquenté l’endroit dont Coppola, Tarantino, Wenders… On y mange des olives et du saucisson. Derrière moi, Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg faisaient les fous.
Savez-vous compter…
Lorsque j’ai su compter jusqu’à 10 en japonais je me suis dit « c’est gagné ». Je vais pouvoir commander 4 jus d’orange au café, acheter 6 timbres à la poste, indiquer que nous sommes 5 pour déjeuner, réserver 2 billets de train pour le 3 septembre (le 9 ème mois)… à moi la vie facile quoi !
Quelle erreur, ma fille ! Ici, question chiffres, rien n’est jamais gagné car on ne compte rien de la même façon. Pour que vous vous rendiez compte du casse-tête que cela représente, voici quelques exemples :
– les choses plates et minces, paf un compteur.
– les cahiers et livres (que vous pensiez ranger dans la catégorie ci-dessus petits malins), un autre compteur.
– les vêtements, encore un autre.
– les (gros) animaux, un énième,
– les petites bêtes, les liquides, les objets cylindriques… vous les compterez encore différemment !
C’est à en perdre son latin japonais !
PS : Le bébé éléphant, je me demande si faut le compter comme un petit ou un gros animal, vous en pensez quoi vous ?
La cancre
Quand je suis arrivée, ma voisine m’a tout de suite poussée à prendre des leçons. Après avoir pris du yaourt liquide pour du lait et goûté l’affreux résultat de ma méprise le matin dans mon café, j’ai rapidement constaté par moi-même qu’une maîtrise minimum de la langue était une question de survie.
Je me suis inscrite dans une école.
Là, formidable ! Une prof cool, une camarade toujours partante pour rigoler et un garçon tranquillement assis sur ses quelques connaissances et peu enclin à travailler. Avançant doucement mais sûrement, je me sentais progresser avec plaisir.
Depuis la rentrée dernière, tout a changé. Mon nouveau professeur avance pire qu’un shinkansen en retard, mes camarades de classe ont des années de japonais derrière eux, sans compter qu’ils travaillent immergés dans la langue et qu’ils côtoient certainement de charmantes demoiselles douées pour les échanges culturels.
Résultat, je sue sang et eau pour apprendre mes kanjis et j’en ferais des cauchemars toutes les nuits. Pour couronner le tout, mon prof, au lieu de s’enquérir délicatement de mes difficultés éventuelles, me demande vingt fois par leçon si j’ai bien compris et si je n’ai pas de questions.
Parfois, j’ai des envies de meurtre.
PS : Je passe un examen dimanche (le JLPT 4), cela explique mon état, n’est-ce pas docteur ?
Une vie de chien
Si certains croient encore qu’on mange du chien au Japon, qu’ils se détrompent.
Pour la gente canine, il n’y a pas meilleur endroit pour vivre : on les bichonne, on leur propose des friandises empaquetées dans de jolis sachets design, on les invite au restaurant avec menu spécial, on les habille en abeille (très chic) ou en kimono et on les sort dans des poussettes dédiées au cas où ils se fatigueraient les pattes.
Evidemment, un chien coûte très cher. On peut donc en louer à la journée et filer avec pour une petite virée en plein air, l’essentiel étant… de ne pas oublier les lunettes de soleil. So kawaï !
Eco-logique !
Les sapins ont envahi la ville avec leurs innombrables guirlandes de lumière.
C’est beau ! C’est féerique ! C’est magique !
Cette débauche d’électricité me met pourtant mal à l’aise.
Dans ce pays à la pointe du recyclage (je trie le carton, les magazines, le verre, les conserves, les cannettes, ce qui est combustible et ce qui ne l’est pas – 7 poubelles en tout, vous avez bien compté) je ne comprends pas qu’on puisse gâcher tant d’énergie. De la même façon, j’ai du mal à accepter que mes courgettes soient vendues dans des emballages individuels et que chaque bento soit accompagné d’une paire de baguettes jetable : ça me fait bizarre.
Que dire, que faire ?
Je ne chauffe pas ma maison lorsque je n’y suis pas.
J’évite le thon rouge et le saumon et je refuse la baleine ou l’ours.
J’utilise l’eau (propre) du bain pour mes lessives et j’étends mon linge.
J’ai le projet d’acheter des baguettes portatives et un vélo léger.
J’envisage de m’installer en Amazonie.
Emballée
Je ne veux pas faire d’un cas une généralité, mais avouez que les travaux, en France, ça n’est pas toujours nickel. Je ne prétends pas qu’il s’agit d’un travail de sagouin, simplement, il y a des trous, des outils qui traînent, du bruits, des matériaux partout.
Quand les travaux du tramway ont commencé près de chez moi il y a quelques années, ils ont ouvert le sol pour passer les câbles électriques et tout un tas de bazar. Ont-ils chercher à optimiser leurs efforts ? Pensez-vous ! Ils ont ouvert trois fois le sol au même endroit. J’ai ainsi subi trois fois les effets d’un chantier en plein air dégageant boue et poussière.
Ici, de nouveau près de chez moi, on retape une université.
Une fois n’est pas coutume, j’ai choisi de vous mettre une GRANDE PHOTO (ceux qui trouvent ce blog aride apprécieront). Observez la protection des échafaudages, la hauteur des bâches, la qualité des cordages… C’est du très grand art ! On comprend mieux pourquoi, en cas de typhon, rien ne bouge. Propreté, sécurité, beauté (oui ça compte) tout est parfaitement maîtrisé. Christo n’a qu’à bien se tenir !