Tremble !
Chaque ami qui vient ici n’attend qu’une chose : éprouver sous ses pieds le sol instable, se frotter aux murs qui ploient et aux fenêtres qui craquent, ressentir ce frisson qui accompagne souvent les petits tremblements de terre que le pays accumule comme autant de records.
Mes invités repartent souvent déçus.
Quand je suis arrivée, j’étais pareille, curieuse de connaître ce sentiment de fragilité face aux forces de la nature et de pousser ce ouf ! de soulagement qui vient après la secousse.
Oui mais voilà, cela fait plus d’un an maintenant que je vis à Tokyo et l’intérêt du début a laissé place à une peur indéfinie et permanente. Ici, chacun attend le retour du Big One, celui qui a tué 143 000 personnes en 1923. On l’attend avec fatalisme, un carton de survie à portée de main.
C’est étrange de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.
L’idéal, c’est de ne pas y penser bien sûr – sinon, il faut faire ses valises et rentrer bien vite en France.
Cette nuit à 4h00 du matin, la terre s’est rappelée à mon bon souvenir. Tremble a-t-elle dit.
No comments !
Moi, je suis pour la libre expression, la démocratie et tout le tintouin.
Mais… il y a des limites !
Par exemple ici, sur ce blog, je n’ai pas plutôt publié quelques billets que j’ai déjà une avalanche de critiques. On me dit que le japonais c’est pas de la gnognote du tout, que c’est super compliqué, qu’il faut conjuguer les adjectifs et qu’il y a trois niveaux de langage (familier, poli et honorifique). Sans compter les compteurs. Quel bazar ! On me précise que dans la langue du pays, pour dire déshabille-toi on lance « takatukite » – j’ai oublié de le préciser dans mon sujet sur les bons mots. J’entends déjà certains m’avouer que Barthes les endort ou les assomme.
Ok, ok.
Mais ici, c’est chez moi, j’écris ce que je veux. Donc, je pense que je vais bientôt supprimer les commentaires. Si quelqu’un y trouve à redire, qu’il me fasse part de ses arguments.
Ha ha, on fait moins les malins pas vrai ?
Le sens pratique
Les boules de Noël, vous en avez achetées comme moi par paquets entiers ! Et bien sûr, vous vous êtes arraché les cheveux en essayant de glisser la branche du sapin avec toutes ses épines dans le minuscule anneau qui surplombe les fameuses décorations. Eh bien aujourd’hui, j’ai découvert le crochet, un simple fil de métal en s qui permet de suspendre les boules les doigts dans le nez, en laissant votre arbre beau et verdoyant. J’ai trouvé ça dans une boîte que j’ai dégotée à Tokyu Hands.
Mais pourquoi n’a-t-on pas prévu ce détail pratique plus tôt ? Parce qu’on n’y avait pas pensé pardi ! C’est là tout de problème : les choses les plus évidentes nous passent à côté parce qu’on réfléchit à autre chose (la dinde, les cadeaux, les prochaines vacances et que sais-je encore).
Au Japon, l’eau de la chasse passe par un petit robinet qui permet de se laver les mains au-dessus des toilettes. Elle s’écoule ensuite dans la cuvette, à peine savonneuse. Voilà qui rend l’installation d’un lavabo complètement inutile. Dans les magasins, quand vous partez avec un carton, il a été solidement ficelé et une poignée a été accrochée pour une prise en main facile, comme on dit dans la pub. Détail d’importance : un papier mousse recouvre celle-ci de manière à épargner vos menottes. Sympa pensez-vous ? Non, PRATIQUE !
Karoshi
On peut mourir de tout. De maladie, de vieillesse, d’un banal accident de la route ou d’amour tiens. Oui ça arrive, lecteurs dubitatifs, voyez Juliette et son Roméo. Mais ici, dans ce pays étrange, on meurt d’avoir trop travaillé et ce phénomène bien particulier a un nom : karoshi.
Le terme a récemment été médiatisé à propos d’une gérante d’une chaîne de fast-food américaine (je ne sais pas si je peux la citer mais il y a du rouge et du jaune dans son logo, suivez mon regard). Elle faisait 80 heures de travail supplémentaire par mois ces derniers temps et paf, ça l’a tuée. Dans Libération, on annonçait 157 décès officiels par karoshi. Impressionnant – sachant que 20 000 seraient plus proches de la réalité.
Que dire, faut-il arrêter de travailler ici ? Doit-on faire grève ou plier bagages ?
Cette nuit, un garçon de ma connaissance a été appelé à 22h pour régler un problème informatique. Il a quitté sa maison 30 minutes après pour se rendre physiquement sur les lieux du bug parce que, forcément, nul autre que lui ne pouvait se charger de la manoeuvre. Il est rentré à 4h30, pour se lever à 6h et repartir au boulot. Aujourd’hui, il fera sans doute la sieste dans les toilettes et aussi dans le métro… en attendant le karoshi ?
L’emprise du signe
Depuis que je l’ai lu, j’ai l’impression que je ne pourrai jamais rien écrire sur le Japon.
Sur le ballet des baguettes et leur façon de faire glisser le riz à la bouche,
sur la gare, coeur battant de la ville sans adresses,
sur le haïku, tableau furtif d’un simple moment de grâce…
il a tout dit.
Et de quelle manière encore ! D’une belle écriture taillée au scalpel, fine et précise sans jamais être ennuyeuse ou convenue. Que faire après lui ?
Roland Barthes.
Les bons mots
A côté du chinois, réservé aux seuls musiciens capables de différencier ses quatre tons, ou des langues de l’est qui accumulent parfois jusqu’à cinq consonnes successives, le japonais c’est de la gnognote. Toutes ses syllabes existent dans notre bon vieux français. On peut donc aisément se taper les cuisses en inventant une blague à consonance japonaise, attention seulement à parler très vite mais pas de façon tching gnang tong (là, c’est du chinois mal caricaturé – rien à voir).
Je vous en livre une, histoire de rigoler un coup : que dit-on à un garçon qui vient d’être largué ? Tananatakite (ha ! ha!). Allez, une autre parce que c’est vous. Comment dit-on « jupe » en japonais ? Oraduku ! Fin et élégant. Bon, et pour élever le débat comme le conseillerait ma maman, je promets de m’efforcer de trouver mieux pour ce blog. Quelque chose de plus… teikoku (impérial, donc). Bonne lecture !