Et la pudeur ?
De retour en France, cette maman que je connais à peine se précipite sur moi.
– Vous étiez donc là-bas ?
– Oui.
– Et vous êtes partis ?
– En effet.
– Tout va bien ?
– Oui (même si j’ai déjà vécu des jours meilleurs).
Déception. Je crois que mon interlocutrice s’attendait à autre chose.
Séisme, tsunami et incident nucléaire, quel beau programme pourtant !
ça va bouger !
« La mort met la vie en mouvement » répétait cet ami cher.
Et en effet, le deuil agit souvent comme un déclencheur de changement. Les repères ont basculé, les certitudes ont tangué. On navigue alors différemment, parfois mieux qu’avant.
Quand ça bouge sous la terre, m’expliquait cet autre rencontré fortuitement après le séisme, ça finit toujours par s’ébranler au-dessus. Et si le 11 mars allait marquer le début d’une nouvelle ère ? Et si cette leçon, sévèrement administrée, allait provoquer un autre genre de cataclysme au sein-même de la société japonaise ?
Rêvons un instant à cette vie d’après.
On verrait émerger de nouvelles solidarités, grâce à un tissu associatif plus réactif et plus fort. On afficherait une intransigeance absolue envers les dirigeants corrompus dont les excuses publiques servent encore à masquer des fautes impardonnables. On profiterait d’un journalisme véritablement indépendant, éloigné des clubs de presse à l’origine d’une collusion trouble avec le pouvoir et les entreprises. On ne serait pas fier (et nationaliste) au point de refuser l’aide, l’expertise ou les secours étrangers.
On changerait… en mieux.
Les liquidateurs
Ils font le job.
Oui, mais pas n’importe lequel.
Dans leur grosse combinaison, frêle armure contre les radiations, ils affrontent l’enfer de Fukushima pour sauver nos peaux, notre vision héroïque de l’indépendance énergétique. Ils travaillent au prix de leur vie puisque la moitié, dit-on, ne réchappera pas de sa mission. Ces pompiers anonymes, dont on ne sait rien sauf que l’un d’eux tweete sous le nom de @kir_imperial, sont-ils vraiment des héros ou de simples hères embrigadés dans ce culte morbide et si japonais du sacrifice ? Doit-on les pousser ou, au contraire, les prendre dans nos bras pour les arrêter ?
Dans leur magnifique « Lettre à un ami japonais » publiée sur le site www.rue89.com, Nadine et Thierry Ribault écrivent ceci :
« Reprenons à notre compte l’appel de G. Anders.
Travailleurs du nucléaire, faites grève ! Désertez ! Désobéissez !
Soyons semeurs de panique. Ayons peur, afin de prendre la mesure de l’obsolescence de l’homme dans laquelle nous plonge le nucléaire, cette guerre faite à l’humanité.
Cher Wataru, qui sont les vrais « liquidateurs », si ce ne sont les élites de l’horreur à la tête de la dictature de l’atome qui cherche à donner au crime la forme d’une catastrophe naturelle ?
Qui sont les liquidés si ce n’est toi, et tous ? »
A méditer.
Tout le monde ment
Dans le noir, qui faut-il croire ?
Est-ce raisonnable de prédire que des vents salvateurs pousseront le dangereux nuage vers la mer jusqu’à après-demain, date à laquelle on décidera s’il faut fuir ou non. En voilà des météorologues avertis ! Le 15 mars, marcher dans Tokyo aurait été moins grave que subir une radio des dents, l’avenir viendra peut-être offrir un cinglant démenti à cette affirmation catégorique (ou alors, les dentistes feront faillite). L’eau est contaminée dit l’un, à peine rétorque l’autre. File ordonne celle-ci, reste intime cet autre.
Alors quoi ? Dans cette valse des experts, ce tourbillon de déclarations contraires, cette lutte de pouvoir et d’influence, les mots et les chiffres forment un brouillard opaque.
Comment savoir ?
(Au secours, Greg !)
L’âme en peine
Je traîne ma tristesse sous un palmier à Singapour où je me suis réfugiée.
Des amis me parlent golf et brunch alors que je voudrais parler réacteur, fuite et peur.
J’ai envie que tout le monde sache ce que c’est que d’avoir été là-bas, mais bien sûr… qui s’en préoccupe ? Pas le monsieur du magasin qui, apprenant que je viens de Tokyo, m’expliquait où trouver le bureau de change. Mais ce marchand de tapis qui m’a proposé le repas et offert une bouteille d’eau bénie, oui, je crois qu’il a compris.
Faux-semblant
On dit souvent que le Japon est riche, mais que les Japonais sont pauvres.
Les paillettes des nouvelles technologies cachent en effet une misère bien réelle, à peine perceptible derrière le paravent des petits boulots aléatoires, sans contrats, sans cotisations, sans sécurité. Cette détresse que l’on peine à imaginer rend le travail des associations difficile. On ne donne pas à un pays riche.
Aujourd’hui, alors que le pays procède au calcul funèbre, on annonce 7300 morts, 11000 disparus.
Le froid qui tenaille la région de Sendai a créé des conditions infernales, en plus du manque de tout et l’eau qui empoisonne. Si vous êtes de ceux qui doutaient encore de la nécessité d’agir, n’hésitez plus.
L’heure d’aider a sonné !
Quelle vie… après ?
Dès le lendemain du 11 mars, mon voisin japonais, masque sur le nez, s’occupait de fixer son arbre et de le dépouiller délicatement de ses quelques feuilles mortes. Des enfants jouaient dehors, inconscients encore des terribles conséquences du séisme. Le dimanche, j’ai pris la fuite alors que de nombreux Japonais restaient, impassibles et droits. Où pourraient-ils aller de toute façon, chez qui ? comment ? et à quel prix ? Piégés. Hier, une dame japonaise écrivait à une de mes amies françaises que son peuple en avait vu d’autres, qu’il était courageux et travailleur, que le Japon se relèverait encore et toujours. Même sans aide.
Pendant ce temps, certains expatriés français évacués en express sont logés au Hilton.
Les grandes banques assurent la continuité du service.
Les investisseurs se précipitent sur les titres bradés des sociétés japonaises qui ont chuté. Quand le Japon se remettra (car cela arrivera), elles empocheront un sacré pactole.
La vie continue dit-on, j’en ai honte.
Nota bene : la suite dans la presse ou dans un livre. Ce blog n’a pas fini d’exister.
Il est arrivé…
Sans panique, les Japonais de mon quartier sont sortis dans la rue, téléphone en main, tâchant, sans succès, de joindre leurs proches. Aux cabines téléphoniques, on faisait la queue. Une petite foule s’est massée devant un magasin d’électronique dont la télévision diffusait les premières images du séisme. Les gares ont déversé leurs voyageurs dans les rues, les poteaux électronique se courbaient par moment dangereusement. Dans le ciel, des hélicoptères. Dans les rues, des camions de pompiers. Dans les airs, des consignes de sécurité et des alertes. J’ai récupéré mes enfants à l’école dans une ambiance surréaliste. Mères pâles et élèves en pleurs. Les casques avaient été sortis pour l’occasion.
Les Japonais attendaient le retour du grand tremblement de terre de 1923 avec frayeur et fatalisme. Il s’est produit hier 11 mars 2011 dans la région de Sendai. Les fuites constatées dans deux centrales nucléaires nous obligent aujourd’hui à limiter notre consommation d’énergie. Un geste auquel nous nous plions bien volontiers, à défaut de pouvoir faire autre chose qu’attendre les répliques.
La chasse est ouverte
Question places, ce qu’ils peuvent jouer perso ces Japonais !
Voyez le quai du métro, des marquages de couleur indiquent clairement où se positionner pour être juste devant l’ouverture des portes. On se range sagement devant, en faisant la queue, bien évidemment. Mais ensuite, croyez-vous que les gens entrent tranquillement les uns après les autres, de façon cordiale et civilisée ? Pensez-vous ! Ils se ruent comme des sauvages et bondissent sur les sièges comme si leur vie en dépendait. Escalade, bousculade, empoignade, pas de pitié pour les mous du genou !
On sort de cet enfer compressif, cogné et chamboulé, à la limite du k.o.
Pour illustrer mon propos, petites photos étranges et troublantes du métro bondé vu par Michael Wolf. A admirer dans son dernier ouvrage Tokyo Compression ou à regarder sur son site : www.photomichaelwolf.com
Les petits boulots
Il n’y a pas de petits métiers, il n’y a que des grands services !
Oui amis poètes, dans ce billet, j’ai envie de rendre un modeste hommage à ces hommes en uniforme qui, nuit et jour et par tous les temps, s’occupent de nous les passants. Ils nous informent que la sortie 9 est en travaux et qu’il faut prendre la 8. Ils arrêtent au péril de leur vie la voiture qui sort du parking pour nous laisser passer. Ils nous évitent le désagrément de recevoir une vilaine goutte d’eau qui tombe du plafond dans le métro mal isolé. Ils freinent l’ouvrier qui risque de nous coller un pain avec son parpaing.
Boucliers humains, portiers, boussoles… ces hommes de rien, sous-payés et harassés par un boulot débilitant, sont toujours fidèles au poste. Et avec le sourire en plus !
Ces Japonais-là rendent à la ville un semblant d’humanité.
A eux aujourd’hui, je dis merci (et à demain).