Vélo (suite)
Vous vous souvenez ? Je vous racontais il y a peu combien j’avais été surprise de recevoir un avertissement pour un vélo garé quoi… à 10 cm de la ligne de démarcation du parking ? Je me disais « vraiment, ils chipotent ces Japonais, un peu de souplesse que diable ». Eh bien, j’ai appris le fin mot de l’histoire. En réalité, cet endroit est payant. Il faut souscrire un abonnement auprès de la mairie pour avoir le droit d’y stationner. A défaut, vous aurez trois mises en garde, puis une amende. Ensuite, ni une ni deux, ce sera la fourrière. Et pour appliquer cette réglementation à la lettre, une brigade de lutte anti-cyclistes-indisciplinés-qui-sèment-la pagaille-sur-les-trottoirs fait une ronde toutes les heures. Gare !
Les pommes de terre
Vous n’en croiriez pas vos yeux ! Les fruits et légumes, dans la plupart des grands supermarchés de Tokyo, ressemblent à des jouets de dînette. Ils sont astiqués, calibrés, remarquablement colorés et empaquetés dans des blisters individuels. C’est bien simple, dans une barquette de fraises, il n’y en a pas une pour dépareiller l’autre et j’imagine qu’elles ont été cueillies par la même main, le même jour, pesées dans la même balance et lavées à grande eau par le même jet. Une amie me racontait que les Japonais aiment l’ordre et l’homogénéité, ça les rassure. Dans ce contexte, je me demande toujours pourquoi les patates, elles, sont toujours bosselées et horriblement terreuses. Chaque fois que j’en achète, j’ai l’impression de revenir des champs. Bizarre…
Le repas de Noël
En lisant « Aujourd’hui le Japon », je suis tombée sur un article qui m’a laissée perplexe. Pour leur menu de réveillon, les Japonais – ces gastronomes de renom qui savourent chaque chose avec délicatesse et ostentation – choisissent majoritairement de se fournir chez une pointure du bien-manger américain, attention j’ai nommé… (suspense)… KFC, Kentucky Fried Chicken. Vous cherchez une chaise pour vous asseoir ? Moi aussi, je suis sur le c. Cette hégémonie dans les assiettes japonaises le soir du 24 décembre remonterait aux années 70, période où le poulet entier était introuvable (cela dit, aujourd’hui encore, quelle galère pour trouver un animal avec deux pattes, deux ailes, un cou, du blanc… le tout attaché). Bref, cédant aux sirènes commerciales, les Japonais se seraient reportés sur le seul fournisseur de volailles possible. Et après réflexion, je les comprends un peu. Moi-même, j’ai dû me rendre à Costco, immense entrepôt américain à 22 km de Tokyo, pour y acheter une dinde format US (7 kg) et compatir de ce fait aux affres du Père Noël portant sa hotte (et encore, lui n’est pas soumis aux embouteillages). Hier soir, j’ai donc remisé la tradition au placard et j’ai préparé des pâtes à la scarole, aux olives et aux pignons, il parait que cela se fait souvent à Naples le soir de Noël.
K’s House
Dire qu’il m’a fallu attendre de vivre au Japon pour fréquenter les auberges de jeunesse ! Mais le jeu en valait la chandelle. J’ai dégoté une de ces adresses toutes proprettes qui donnent envie de sillonner le pays, sac au dos et fleur au fusil. Celle que j’ai essayée, mes amis, une perle. Propre, chauffée (!), conviviale, équipée ! Je vous la recommande. Vous apprécierez notamment toutes ces étiquettes placardées ça et là pour vous rappeler qu’il faut éteindre la lumière, enlever vos chaussures, indiquer le numéro de votre chambre sur les provisions laissées dans la cuisine… Oui, c’est légèrement infantilisant, mais ça a le mérite d’être reposant. Et surtout, j’ai adoré les photos placardées au-dessus de l’évier. Image n°1 : une montagne de vaisselle sale avec cette exclamation « OH NO ! » c’est la désolation. Image n°2 : le bac est vide et rutilant, « BEAUTIFUL ! » lit-on, toutes nos félicitations. Franchement, ça ne donne pas envie de participer ainsi qu’on vous le recommande ? Allez hop ! A la plonge !
Le vélo (côté cycliste)
Avant, j’étais comme vous. Je me traînais misérablement sur mes deux jambes, klaxonnée régulièrement par des hordes de cyclistes manquant chaque fois de me renverser ou de me faire mourir d’une attaque. Mais depuis quelques temps, ha ! ha ! la peur a changé de camp ! J’ai un vélo ! J’ai donc pleinement pris possession de cette nouvelle liberté. A moi les sens interdits ! A moi les trottoirs ! A moi les feux que l’on grille allègrement ! Vous voyez l’autre zouave à la poupe du Titanic (en fait, je crois qu’il était plutôt à l’avant)… rallongez-lui les cheveux, collez-lui une bicyclette entre les jambes et transportez-le dans le Tokyo 2010 : c’est moi.
Mais aujourd’hui, comme cela arrive souvent ici, j’ai été durement rappelée à réalité. Je vous raconte l’histoire. Toute guillerette, je prends ce matin l’initiative de garer mon destrier non pas dans le parking réservé (et délimité au sol par une belle ligne blanche)… mais 10 cm en-dehors. Personne ne verra rien pensais-je alors naïvement. Quelle erreur ! Je reviens quelques minutes après : envolé le vélo. Je cherche partout, j’envisage la fourrière, un voleur, et bien sûr, j’atterris au koban (le fameux poste de police etc. etc. lisez-moi bon sang vous saurez de quoi il s’agit) où l’on m’informe qu’il faudra revenir avec mon numéro d’immatriculation. Dépitée, je prends le chemin de la maison mais quelque chose m’incite à retourner sur les lieux de la disparation (c’est mon côté détective). Je regarde attentivement tous les deux-roues bien alignés et devinez quoi ? Je retrouve le mien ! Il avait été déplacé et un bel autocollant rouge était enroulé sur son guidon, un papier sur lequel je lis : 3 000 yens / 5 000 yens. Une amende pensez-vous ? Non, un simple avertissement ! On me prévient que ça va pour cette fois-ci mais qu’à la prochaine incartade, il m’en coûtera cher. Ouf, j’ai eu chaud ! Comme quoi… même à vélo, la liberté au Japon a des limites. Je me le tiens pour dit.
Les tirages au sort
Qu’ils sont joueurs ces Japonais ! Et surtout, comme ils savent bien entretenir la fidélité ! Tenez, je vous ai déjà parlé de ces célèbres « pointo cardo » qui exigent qu’on ne sorte jamais faire les courses sans sa valisette de cartes à portée de main. Eh bien, il existe une alternative plus ludique et presque aussi courante : le tirage au sort. Vous vous rendez chez votre fromager (véridique, il y en a un à deux pas de chez moi), vous achetez un bout de comté (qui vous coûtera un bras, mais passons) et v’là-ti pas qu’on vous présente une boite en carton dans laquelle il faut farfouiller sous les yeux curieux de tous les clients. Les doigts innocents et fiévreux attraperont un papier impeccablement plié qui dira si oui ou non vous avez gagné. Suspense et… joie ! Vous avez sorti le numéro 1, vous repartirez avec le cadeau de votre choix. En ce qui me concerne, la chance m’a récompensée d’un superbe tablier au nom de ma pâte cuite préférée, vraiment… un très beau lot !
Florent Chavouet (suite)
Ce type-là est un gentleman !
En effet, par souci de bienséance (et par peur de voir débarquer chez moi quelques ténors du barreau oeuvrant à sa solde), j’ai envoyé un message à l’auteur de Tokyo Sanpo pour lui demander l’autorisation de publier quelques unes de ses images sur ce blog qui, comme chacun sait, est mondialement connu.
Et vous savez quoi ? Il m’a répondu « tout ce que vous voulez » (à peu de choses près ce sont ses mots).
Mince alors, il y a bien longtemps qu’on ne m’avait pas donné une telle liberté. J’en profite donc pour vous offrir un petit aperçu de son immense talent (si, si, ne sois pas modeste, Florent).
Je vous invite aussi à jeter un oeil à son blog : http://florentchavouet.blogspot.com/ !
Ah si j’étais un homme…
… j’aurais un trait assuré et précis qui capterait Tokyo dans ses moindres détails. Je croquerais avec le même plaisir la tombe de « Jesepaki », une épave de camionnette, un paquet de cup-noodles ou une dentition « freestyle ». Je saurais faire la différence entre un salaryman strict (champion de pachinko) et un salaryman cool (séducteur d’office ladies). Evidemment, j’écrirais avec aisance (ce qui rendrait dingues toutes les rédactrices de la terre, moi la première) et je couvrirais mes dessins de très nombreuses annotations avec des flèches partout pour guider le regard de mes lecteurs vers ces détails incongrus qu’il serait bête de manquer. J’aurais le sens du récit, le sens de la mise en scène et le sens du comique de situation (ce qui fait beaucoup pour un seul homme, mais c’est possible). J’aurais un humour décapant, mais jamais moqueur ou cynique. Je m’appellerais Florent Chavouet, auteur de l’irrésistible carnet / guide de voyage Tokyo Sanpo. Lisez-le. Offrez-le.
A mon frère Vincent : pour les souvenirs, souvenirs, jette donc un oeil page 168.
Tokyo année zéro
Faut-il aimer David Peace, cet écrivain anglais considéré par certains comme l’un des nouveaux grands maîtres du polar et auteur célébré d’une quadrilogie aux titres laconiques : 1974, 1977, 1980 et 1983 ? Cet homme, qui a le bon goût de vivre à Tokyo depuis quelques années, s’est lancé dans une grande fresque qui ambitionne de dresser le portrait du Japon d’après-guerre.
Alors, ça donne quoi ?
Mouais mouais mouais.
L’enquête du trouble inspecteur Minami sur le meurtre et le viol de jeunes filles abandonnées aux hasards des lieux les plus sordides de Tokyo et de la région de Tochigi est le fil ténu choisi par Peace pour décrire l’état du pays en 1945. Forcément, le constat n’est pas joli-joli et c’est un peu le reproche que l’on peut faire à l’auteur. Le ressentiment face à l’occupation, l’humiliation des héros nationaux devenus parias, la lutte fratricide que se livrent sans merci les différentes communautés ou sections de la police, la folie qui guette après avoir vu brûler, torturer ou mourir ses proches… tout cela sonne juste, mais le point de vue me semble un peu simpliste. Et après ? Oui, la guerre est traumatisante et injuste. Oui les méchants ne le sont pas toujours et les bons non plus. Oui, les hommes sont menteurs, les femmes faciles et les enfants victimes. Mais on termine sur sa faim. Reste le parti-pris stylistique, cette forme qui fait la signature de Peace : d’inlassables répétitions qui se répètent de façon répétitive (!) jusqu’au tournis, l’utilisation du japonais dans le texte, et ces allers-retours entre passé, présent, délire et réalité, sans parler de ce récit parallèle qui ouvre chaque grande partie sur un sentiment de confusion et de frustration totales.
En quatrième de couverture, Télérama évoque une oeuvre lyrique et envoûtante « qui tient autant du poème que du pur roman« . Je vous invite à vous en faire votre propre idée (quand même 486 pages aux éditions Rivages). Quant à moi, je trouve que ce « Japanese Death Trip » est bien loin des délires et des fulgurances d’un James Ellroy, auteur phénoménal dont David Peace se réclame. Dommage !
Nota bene : comme je suis un peu masochiste, je vais quand même lire la suite, Tokyo ville occupée. Je vous raconterai ! Avant cela, petit bonheur de lecture avec Florent (dont je vous parlerai bientôt, promis).
Le ciel de Tokyo
Ce n’est pas Florent qui va me contredire (je vous le présenterai bientôt). Il suffit de lever les yeux pour s’apercevoir que le panorama là-haut est légèrement… encombré. Eh oui, au-dessus de ces ruelles charmantes et si pittoresques, ce sont des dizaines de fils électriques qui dessinent de grandes balafres dans le ciel. Un poteau, deux poteaux, trois poteaux… on pourrait les compter comme les moutons, on n’en viendrait jamais à bout. Mais pourquoi donc Tokyo n’essaie-t-elle pas de les enterrer ? Bonne question. D’abord, les rues sont si étroites que les éventrer exigerait d’interdire des mois durant le passage des voitures mais aussi des piétons. Ensuite, je vous rappelle que les tremblements de terre sont nombreux ici (il y a quelques jours encore, j’ai plongé, éperdue, sous ma table de salle à manger). Si les fils étaient souterrains, la remise en service de l’électricité prendrait des semaines. Et pendant ce temps, comment ferait-on pour surfer sur internet, lire la nuit ou faire chauffer son bain, hein ? Alors, on fait moins les malins. Quant à moi, je dis que cette voûte céleste fait partie de la ville et du pays et je l’avoue : j’aime ces lignes noires et désordonnées qui jurent si bien avec la propreté ambiante.