L’homme de l’entretien
J’ai trouvé ma maison par le biais d’une agence qui dispose d’un service de maintenance intégré. Une panne ? Une fuite ? J’appelle aussitôt et on m’envoie dans les deux jours un artisan spécialisé. Il faut avouer que c’est pratique. Mardi dernier justement, l’un d’entre eux vient me débarrasser d’un vieux climatiseur. Il prend deux photos avec son portable :
– une du mur avec l’engin, c’est le constat.
– une du mur après intervention, c’est le résultat.
Il envoie le tout à son responsable qu’il appelle dans la foulée pour le rapport (même en japonais, j’ai compris). Profitant de la présence du technicien chez moi (ne jamais perdre une occasion, comme dit ma maman), je demande alors si je peux utiliser mes radiateurs la nuit. Ils sont reliés à une prise de gaz… ça m’inquiète un peu. L’homme répercute ma question à son chef qui exige qu’on lui adresse la photo desdits appareils. Clic clac, la voilà envoyée. Le responsable consulte sa base de données (sans doute sur un gros ordinateur très perfectionné) et voici sa réponse : aucun souci, mais si vous sentez une odeur bizarre, éteignez-les et appelez sans délai notre service d’intervention.
Rassurant, non ?
Journée de la culture
Chaque année, un jour spécial donne l’occasion au pays de célébrer les arts sous toutes leurs formes. Il s’y déroule certainement quelques événements élitistes auxquels ne sont conviés que les fins connaisseurs, mais pas seulement. A côté de chez moi, une bande de jeunes gens, lunettes de soleil sur le nez et bronzage de saison, a passé la matinée à scotcher une immense bande de papier en plein milieu de la rue exceptionnellement condamnée à la circulation. 500 mètres de serpent blanc bordé d’innombrables cartons de lait recyclés pour l’occasion en pots de peinture. Chaque passant, grand ou petit, était invité à venir réaliser son oeuvre. Simple gribouillis, paraphe ou délicate esquisse… les couleurs ont explosé aujourd’hui sur la Kagurazaka. Un régal pour les yeux !
Le bain à la louche
Dans ma première maison, j’avais la chance de pouvoir faire couler mon bain sans approcher de la baignoire. Il me suffisait pour cela d’appuyer sur trois boutons d’un panneau de réglage assez simple quoique tout en japonais. Je choisissais la quantité d’eau souhaitée, la température et lançais le programme.
Tic tic tic et hop plouf !
Aujourd’hui, tout a changé et je suis presque perdue.
Ma baignoire n’a qu’un robinet dont ne coule que de l’eau froide. Je dois donc remplir ma cuve et régler ensuite (toujours via un panneau, toujours en japonais) le temps de chauffe de mon bain. Deux petits hic cependant :
1/ quelle durée choisir pour quelle quantité d’eau,
2/ comment mélanger l’eau chauffée avec celle qui est restée froide ?
Heureusement, j’ai trouvé la solution ! Je règle la durée au pif (15 minutes de chauffe environ pour une baignoire aux trois-quarts pleine) et, pour mélanger mon bain sans m’ébouillanter, j’utilise… une louche !
C’est pas beau la débrouillardise ?
Visite guidée
Mais à quoi ressemblent donc les « vraies » maisons françaises ? Sans doute faudrait-il avoir recours à un sociologue averti pour lister quelques généralités, quelques banalités. Pour ma part, je dirais… le canapé dans le salon face à la télévision, les journaux dans les toilettes, les jouets qui traînent, le paillasson devant la porte et les rideaux aux fenêtres. Au Japon, naturellement, les demeures se reconnaissent à d’autres spécificités. Voyons… il y a le fameux placard à chaussures de l’entrée, la cuvette des toilettes chauffée et multi-jets, le thermostat pour régler la température du bain, le miroir qui supprime la buée et permet de se maquiller sans jamais être gêné (une révélation), les cloisons en papier, la trappe qui dissimule un garde-manger, les alcôves, les balcons à plantes vertes qui courent le long des fenêtres, les volets hermétiques qui coulissent latéralement… Oui, tout cela me semble, à moi, grande experte, absolument typique. Et comment je le sais ? Hé, hé, petits malins, venez donc chez moi : je vous ferai visiter !
Le cadeau d’arrivée
A votre avis, que pourrait offrir un bon ami à sa douce après plus d’un mois de séparation forcée ? Un bouquet, un sac, un bijou… ? Allons, allons, ne soyez pas si communs. Ici, pour souhaiter la bienvenue, on choisit un cadeau utile et coquet : une espèce de doudoune sans manches, qui arrive pile sous la poitrine. Pensé pour réchauffer les endroits les plus sensibles au froid – le cou et les épaules – ce vêtement typique du pays vous permet d’arborer la carrure de Goldorak, mais dans des couleurs plus douces : vieux rose à l’extérieur et éclaboussé de fleurs à l’intérieur. C’est chic, c’est sexy, c’est japonais !
La France vue du Japon
Pour une fois, changeons de point de vue et imaginons la surprise que l’on peut ressentir face aux moeurs pittoresques des Français. Après deux années passées à Tokyo, j’ai en effet posé un regard tout neuf sur les particularités de mes compatriotes et sur nos vastes campagnes. Alors, bons ou mauvais points ?
Mais qu’ils sont râleurs ! Avec cinq semaines de congés payés, des RTT, des jours enfant malade, des jours enfant seul pour cause de grève (je ne connaissais pas), une retraite assurée à un âge plutôt raisonnable, des indemnités chômage, des jours de maladie… on en veut toujours plus et on est prêts à descendre dans la rue pour revendiquer. Cela me donne envie de dire : bravo pour l’esprit contestataire, mais si on ouvrait les yeux sur tout ce qu’on a déjà ?
Ben la qualité du service, elle laisse carrément à désirer ! J’ai régulièrement payé mes achats à des vendeuses en train de causer au téléphone avec une copine, sans parler des serveurs qui engueulent les clients parce qu’ils prennent deux assiettes pour leur petit-déjeuner et qu’il n’en reste plus pour les autres. Le franc-parler euh… je suis pour, mais la diplomatie : déjà oubliée ?
Et bien sûr, les chiens en ville restent un sujet d’énervement permanent ! Bon sang, ici, un aveugle marche en toute sécurité. A Paris, les rues sont minées. Crotte alors, amis des bêtes, soyez plus responsables.
Pour le reste… ah ! les champs de blé, les églises de campagne, les expositions renversantes, les petits théâtres, l’esprit de voisinage, la mixité, les cahiers de classe payés par la mairie, les centres de loisirs, le conducteur qui s’arrête en pleine rue pour ouvrir ses portes au passager en retard, le chanteur (pas mauvais) qui anime la rame, les (grosses) portions dans les assiettes, l’amitié facile, le menu du jour sur l’ardoise, la revue de presse du matin et les magazines féminins… Tout cela va me manque déjà !
Faut-il donc partir pour mieux revenir ?
Cher Antoine G.
De tous mes fervents lecteurs (une véritable marée humaine, restons modeste), tu es le seul à m’avoir dit travailler activement à réunir la somme nécessaire à mon retour rapide à Tokyo. Sachant tes talents d’inventeur et ta manière bien personnelle d’être persévérant, je crois que tu aurais certainement réussi, au bout de quelques années, à sponsoriser plusieurs centaines de kilomètres d’avion. Cher Antoine, je te délie de tes promesses de soutien financier et je t’invite à ne plus travailler que pour toi-même et tes chers étudiants endormis. Me voici en effet de retour dans cette mégalopole de mon coeur, l’oeil aux aguets, le nez au vent, les écoutilles ouvertes et la main sur le clavier. Ahrizgateau reprend et, pour ta gentillesse, je t’en dédie les tous nouveaux billets !
Comment vous dire…
Chers visiteurs occasionnels, chers lecteurs fidèles (deux ou trois bons copains désoeuvrés), chère maman… je suis au regret de vous annoncer que ce blog prend fin aujourd’hui. En effet, rentrée en France cet été, je ne saurais continuer mes chroniques japonaises sans l’apport inestimable de l’expérience de terrain. Comment raconter la texture du sashimi de langue de baleine, l’usage du mégaphone dans les jardins d’enfants ou l’enfer de la yamanote aux heures de pointe sans l’avoir vécu ? Impossible, vous dis-je, cela sonnerait aussi faux que ma voisine sous sa douche. Heureusement, pour ceux que cette annonce désolerait, sachez qu’il vous reste encore une chance de faire revivre ahrizgateau, ce haut-lieu de récits épiques et pittoresques. Pour quelques millions de yens par an seulement (une misère) je devrais pouvoir retourner à Tokyo pour y continuer mon grand oeuvre. Amis sponsors, fans et inconditionnels, faites-vous connaître et à bientôt qui sait…
Attention : dangereux !
Avec sa conduite à la parisienne, elle slalomait entre les véhicules, sûre d’elle et de son bon droit à devancer les uns et les autres, sans façons ni prudence. Voilà une voiture qui n’apprécie guère ses manières et lui grille la politesse. Une queue de poisson ? Autre chose ? Qu’importe ! Notre kakou commence à bouillir, elle rejoint les chauffards à un feu et s’empresse de cogner les portières en hurlant une belle bordée d’injures (en français). Quelle imprudence ! Mais pourquoi donc n’a-t-elle pas repéré plus tôt les vitres teintées qui se baissent doucement et laissent apparaître les visages de… yakuza. Stupeur et tremblements. Notre conductrice bredouille de pauvres excuses et s’esquive aussitôt sans demander son reste. Trop tard. Elle est prise en chasse par la voiture qui la poursuit dans tout Tokyo. De peur, elle se réfugie au koban espérant de l’aide. Peine perdue. Devant quelques policiers impassibles, plusieurs hommes en noir l’attrapent par les cheveux et la traînent dehors où elle est rouée de coups et où l’on exige qu’elle donne sur le champ les noms des membres de sa famille et son adresse. On leur fera la peau, salope ! La demoiselle est ensuite abandonnée sur la chaussée, tremblante et terrorisée. Heureusement la menace ne sera pas mise à exécution mais notre conductrice restera durablement traumatisée. On la comprend.
Cette légende, qui circule entre expatriés, nous apprend qu’au Japon, il faut savoir mesure garder. Par ailleurs, on m’a expliqué que cette femme avait eu de la chance. Si elle avait été un homme, elle aurait probablement été tuée.
Crimes et licenciements
Un proche ami français qui travaille au Japon (il se reconnaîtra) me racontait récemment que dans son entreprise, on affichait chaque mois les déboires des mauvais salariés dont on justifiait ainsi le prompt châtiment, soit un licenciement pur et simple. Sans doute vous demandez-vous quelle faute grave ces employés peuvent-ils commettre pour mériter une sanction aussi rude. Voici, pour votre gouverne, un exemple éloquent : l’un d’entre eux, certainement harassé de fatigue et de stress, termine sa journée par une soirée bien arrosée. Fin saoul, il rentre, par erreur, dans une autre maison que la sienne et finit par se retrouver nez-à-nez avec la propriétaire en petite tenue. Terrorisée, celle-ci s’empresse d’alerter la police qui accourt. Notre homme – qui, entre nous, est sans doute plus à plaindre qu’à craindre – non content de se retrouver au poste, termine sur le carreau. En effet, il a sali l’image de l’entreprise et ça… c’est impardonnable. Il est viré sur le champ et sa mésaventure est aussitôt placardée près de la machine à café. Chers lecteurs, hier, une vendeuse parisienne qui me remettait les conditions générales de vente liées à un abonnement téléphonique, m’enjoint de signer d’abord le contrat et de lire chez moi « la paperasserie ». Signer en aveugle, voici donc ce qu’elle me recommande ! Et, quand je lui demande de m’indiquer où sont les clauses de résignation, elle avoue naïvement n’avoir jamais lu document. Professionnellement parlant, n’est-ce pas au moins tout aussi grave que se tromper de maison en rentrant chez soi ? Heureusement pour elle, elle travaille en France et n’a donc rien à craindre pour son emploi.
Deux pays, deux poids, deux mesures ?