Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants
La littérature prend parfois de drôles de chemins de traverse pour nous atteindre.
En arrivant ici, j’ai voulu, par esprit de contradiction, lire « Un roman russe » d’Emmanuel Carrère. Celui-ci m’a emmenée vers Philippe Forest, qui m’a donné envie de découvrir Kenzaburô Ôe. Retour au Japon. Et découverte d’un conteur magnifique. Durant la seconde guerre mondiale, les garçons d’une maison de correction sont emmenés dans un village de montagne où sévit une épidémie mortelle et insaisissable. Sommés d’enterrer les carcasses pourrissantes des animaux décimés par la maladie, ils seront rapidement abandonnés à leur sort par les paysans. Au-delà d’une thème de l’enfance, c’est l’histoire de la fuite impossible que nous conte l’auteur. Fuir les mauvais traitements, fuir l’épidémie, fuir la guerre, fuir ses responsabilités ou fuir l’entrée dans l’âge adulte. Vaines tentatives ! On n’échappe pas à son destin. Et on peut bien être être aussi malin que le Petit Poucet, tous les chemins nous ramènent à l’ogre qui nous dévorera les entrailles.
Yes he Kan !
Manque de maturité politique et de lisibilité gouvernementale, voilà ce qui aurait finalement coûté son poste à Yukio Hatoyama, premier ministre démocrate et prometteur s’il en est… De son bref passage pourtant, tout n’est pas à jeter ! Allocations familiales, coupes franches dans le budget des grands travaux de l’état, prise de position rapide et courageuse en faveur de l’environnement, débat sur les relations du Japon avec les États-Unis, toutes ces questions ont été abordées de front, dans une volonté de transparence et malgré de nombreux atermoiements. Mais les Japonais n’auront rien voulu entendre, ou attendre. Après une chute de popularité record, Yukio Hatoyama a laissé sa place à Naoto Kan. Dès sa prise de fonction, on vendait déjà sur internet d’étonnants t-shirts à son effigie et au « slogan » porteur : YES WE KAN.
Où sont les féministes ?
Follement amoureuse de son maître de poésie, elle écrivit un recueil de poèmes autour de son désir naissant. Scandale. On est en 1901 au Japon. Elle a 23 ans. Elle épousera son mentor et 13 enfants naîtront de leur union. Yosano Akiko est l’une des grandes figures de proue du féminisme « bourgeois » du début du siècle. Son parcours, comme celui de nombreuses autres m’a été raconté ce matin lors d’une conférence passionnante. De la baronne bouleversée par le sort des femmes contraintes d’accoucher dans les mines où elles travaillent à l’ex-prostituée oeuvrant activement contre toutes les violences faites aux femmes… la sociologue Muriel Jolivet a fait revivre les luttes de ces combattantes exceptionnelles. Mais que reste-t-il de leurs idéaux ? Où en est le féminisme ici, dans un pays où les jeunes filles déclarent majoritairement vouloir se marier et rester à la maison ? Un piste d’explication : l’égalité réelle réservée à celles qui se lancent. Ainsi, arrivées aux mêmes postes que les hommes, les femmes bénéficient du même traitement : 11 heures de travail par jour, 2 semaines maximum de congé par an, une vie sans répit, sans soupape et… généralement sans mari. Aujourd’hui, cette vie-là les Japonaises n’en veulent pas. Qui pourrait les en blâmer ?
Les ALF
Imaginez une centaine de femmes mûres face à 5 garçons mèches au vent, costume chic mais cool, voix de velours et chorégraphie cadencée. Envoyez la tombola qui fera gagner un sac Chanel ou une montre Piaget. Versez une belle quantité de boisson à bulles qui fait rire plus fort et tourner les têtes. Vous entendrez le tintement du verre, le cliquetis de l’argenterie et le bruit des flashes. La salle de bal Art Déco du Ritz Carlton est vaste et elle se démultiplie dans les miroirs. Son Altesse Impériale, marraine de toujours, s’affiche digne et francophile. Les invitées portent de hauts talons et de lourds colliers. Les serveurs se courbent bas.
Vous assistez au déjeuner de gala des 35 ans des Amies de Langue Française, une association de dames très influentes qui promeut depuis 1975 les échanges culturels franco-japonais.
De grandes espérances et après ?
L’année dernière, j’assistais à une conférence passionnante sur la portée historique des élections japonaises. Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, on voyait la « gauche » s’emparer du pouvoir. On attendait un changement radical sur la question des bases militaires américaines, l’émergence d’un nouveau leadership en Asie et la mise en place de mesures essentielles en faveur de la natalité, sujet crucial et plus actuel que jamais. L’environnement semblait devenir un enjeu majeur et les fonctionnaires craignaient déjà de se faire confisquer un peu de leur énorme pouvoir. Aujourd’hui, à l’épreuve de la réalité et des scandales financiers, la déception est là. L’opinion ne soutient plus son premier ministre dont on moque jusqu’aux chemises.
Yukio Hatoyama a présenté sa démission aujourd’hui.
Les prochaines élections sénatoriales de juillet décideront de la suite.
Les parasites
Qui sont les parasites ? Ceux qui vivent improductifs et reclus comme Uehara, ce garçon obèse et dépressif, exclu de son école, de sa famille et de la société ? Ceux qui investissent la toile pour manipuler l’information et s’amuser à susciter l’espoir ou contraindre à la violence ? Les parasites sont-ils des virus mystérieux qui modifient le caractère et invitent au massacre ? Et si, finalement, les parasites rassemblaient tous ceux qui vivent privés d’envie et de but, ceux qui vivent, aveugles, une vie qui leur échappe ? Dans ce roman dense et visionnaire, Ryu Murakami interroge de nouveau la capacité de chacun à prendre son destin en main. L’auteur écrit ainsi « l’espoir n’est pas une chose qu’une société puisse offrir, c’est une chose que les individus doivent formuler eux-mêmes et qui reste toujours à découvrir » en s’affranchissant ou non des parasites, et quelle qu’en soit l’issue.
Pas recommandable !
Je ne sors jamais sans ma bible. Je vais où elle me dit d’aller. J’évite ce qui m’est déconseillé. Bien mal m’en a pris. Fichu guide ! A Kumamoto, le Lonely Planet m’enjoint de réserver dans ce minuscule minshuku (sorte de chambre d’hôtes) silencieux, propre et bien tenu. Le personnel est serviable et on peut même, avec un petit supplément, prendre son repas. J’y vais les yeux fermés.
Arrivée sur place, je rencontre la propriétaire qui m’emmène à ma chambre d’un pas traînant. Il y a trois lits pour quatre personnes, qu’importe, nous nous serrons. Dois-je laisser mon nom, remplir un formulaire ? Non. Nous serons des voyageurs anonymes, un parfum de mystère flottera autour de nous, pourquoi pas. J’inspecte la chambre, le tapis est taché, la climatisation est équipée d’un système à pièces. La propriétaire doit être une vaillante militante pro-environnement. Faut pas trop laver. Faut limiter sa consommation d’énergie. J’approuve. J’ouvre le placard pour y ranger mes affaires : tiens, il est déjà encombré de couvertures en vrac et de gros cartons ramollis. Allons, allons, soyons positifs. Après ce voyage qui a réussi à me faire combiner en une seule journée train, bateau, car et tramway, un bon bain me fera du bien. Nous descendons avec trois serviettes pour quatre (comme le nombre de lits alloués, il faut rester logique de bout en bout), le o-furo nous attend. Je me déshabille, prend une douche et soulève les planches rafistolées qui recouvrent le bassin. VIDE, il est vide. Je m’énerverais volontiers mais je suis trop crevée. Allez hop, au lit. Le calme décrit par mon guide comme l’un des points forts de cet établissement rattrapera tout. Hélas, je ne dormirai pas de la nuit… le karaoké d’à côté fonctionne à plein.
Je suis fâchée. Pour cette chambre, j’ai payé près de 9 000 yens la nuit, soit dans les 81 euros. Evidemment, nous étions quatre, mais quand même ! C’est cher payé pour des conditions aussi miteuses.
Normaux
Une amie française jubilait à la vue d’une canette abandonnée dans les rues de Tokyo. « Ah quand même ! Les Japonais ne sont donc pas tous sur-hommes !« . Parfois, ils se laissent aller et dévient du chemin bien droit qui leur tracé depuis des générations. Il me semble alors qu’ils sont un peu comme vous et moi, imparfaits.
Attention fragiles !
Derrière le visage impassible et la courtoisie codée se cachent de véritables cocottes-minutes, des hommes (et des femmes) sous pression prêts à exploser. Il faudra alors écraser l’autre ou s’en prendre à soi-même. Les chiffres sont tombés. Au Japon en 2009 : 32 845 suicides ont été recensés par la police, plaçant le pays au 8ème rang des nations les plus atteintes par le mal de vivre.
Un mot peut en cacher un autre
Ah là là chers lecteurs, je suis allée à Kumamoto et j’ai mangé du sakura, je m’en suis mis jusque là !
Des fleurs de cerisiers penserez-vous, voilà un drôle de plat, mais pourquoi pas finalement, il faut s’attendre à tout dans ce pays. Je vous accorde un point, car on se régale ici de glace ou de gâteau parfumé au sakura, mais il s’agit là d’autre chose. Voyons, c’est rouge, c’est fort… c’est… c’est de la viande de cheval ! Absolument. Étonnant, non ? Pour ne pas citer l’animal et rappeler au monde notre nature carnassière – ce qui serait trivial au possible – on utilise un terme plus imagé, plus élégant, plus fleuri, quoi ! Je vous invite donc à la prudence. Amis végétariens, si vous allez du côté d’Izu et que l’on vous propose un nabe aux pivoines : refusez. On vous apporterait une marmite remplie de bons gros morceaux de… sanglier.